Cette lettre d’opinion a paru dans le numéro de septembre-octobre 2016 du magazine Policy.
Par Robert Proulx, recteur, l’Université du Québec à Montréal (UQAM)
Les universités canadiennes jouent un rôle de premier plan dans le développement d’un système d’innovation dynamique, apte à assurer l’avancement social, économique et culturel du Canada. En effet, s’il est un lieu qui rassemble les ingrédients essentiels à l’innovation – nouveaux savoirs, confrontation d’idées, recherche de solutions, inventivité – c’est bien cette institution à nulle autre pareille. Pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain, le Canada doit impérativement miser sur ses universités. Concrètement, cela signifie adopter une vision plus globale de l’innovation et surtout, soutenir la recherche dans tous les domaines de la connaissance.
Le développement du Canada est plus que jamais tributaire de sa capacité à innover. Plaçant l’innovation au cœur des stratégies visant à assurer la prospérité économique du pays, le gouvernement fédéral investit depuis quelques années des sommes de plus en plus considérables dans des recherches appliquées à fort potentiel économique, susceptibles de maintenir et d’accroître la compétitivité des entreprises canadiennes dans un marché mondialisé.
Bien que les retombées de ces investissements soient indéniables, on ne saurait réduire l’innovation à sa seule dimension économique. Son rôle est à vrai dire encore plus fondamental, car même l’invention technologique la plus pointue ne sera pas source d’innovation si elle n’induit pas une transformation des pratiques sociales.
La dimension sociale de l’innovation se révèle avec encore plus d’acuité lorsqu’on considère les nombreux enjeux qui marquent le xxie siècle. Du réchauffement climatique au phénomène de la radicalisation, du vieillissement de la population à la réconciliation avec les peuples autochtones, ces défis demandent en effet des solutions novatrices qui ne sont pas nécessairement créatrices de valeur économique, mais qui sont néanmoins cruciales au développement des sociétés.
C’est pourquoi le gouvernement doit adopter une perspective plus large, qui place la finalité sociale de l’innovation au cœur de son déploiement. Une telle vision est une condition essentielle à la capacité du Canada à assurer son avenir.
Pour concrétiser cette vision, l’apport des universités canadiennes est primordial. Par leur ancrage dans leur milieu et leur ouverture sur le monde, par les recherches appliquées et fondamentales qu’elles mènent et par les savoirs qu’elles développent, elles sont le principal point de convergence des forces qui permettront au Canada de disposer d’un système d’innovation dynamique, capable d’aider nos communautés à relever les défis collectifs et à bâtir la société de demain.
Qu’est-ce que l’innovation?
Pensée comme source du progrès social, l’innovation est une rupture, une réponse nouvelle, bien souvent inattendue et parfois audacieuse à un besoin. Qu’il s’agisse d’un produit, d’une technologie, d’un service ou d’une politique, l’innovation transforme les usages sociaux. Le processus d’innovation résulte habituellement d’une collaboration entre divers acteurs qui mettent en commun leur connaissance et leur savoir-faire. Voilà autant de caractéristiques que partage l’université et c’est pourquoi cette institution est un acteur incontournable de l’innovation.
La mission sociale des universités
Financées à même les fonds publics, les universités canadiennes sont un bien collectif qui profite, directement ou indirectement, à toute la société. Une telle conception de l’université suppose que son rôle premier – la conservation, la production, la transmission et la diffusion des connaissances – relève d’une mission scientifique, mais aussi sociale. Contribuer au développement scientifique, culturel et économique ainsi qu’au mieux-être des collectivités est donc une des activités constitutives de la mission universitaire. Par leurs activités de formation, de recherche et de création, elles développent une culture du savoir qui permet non seulement de penser le monde, mais aussi de le transformer et de le réinventer.
Des collaborations tous azimuts
Pour y arriver, les universités jouissent d’une longue tradition en matière d’ouverture sur le monde. Elles ont multiplié les collaborations avec différents partenaires de la société – que ce soit avec les entreprises ou encore avec les milieux culturels, sociaux et éducatifs – favorisant ainsi la mobilisation des connaissances. Cette rencontre entre les demandes du milieu et le monde universitaire, entre les savoirs théoriques et pratiques, est essentielle à l’émergence de solutions originales et novatrices qui répondent aux enjeux actuels.
À cet enracinement local, s’ajoute une dimension internationale tout aussi cruciale à l’innovation. Les chercheurs canadiens sont intégrés dans une multitude de réseaux de recherche internationaux qui leur permettent d’être à la fine pointe du savoir. Alors que nombre d’enjeux actuels – les changements climatiques, les droits humains, le maintien de la paix ou l’accroissement des inégalités sociales pour ne nommer que ceux-là – transcendent les frontières géopolitiques et demandent des efforts concertés, ce partage de connaissances à l’échelle mondiale est indispensable.
Ce double ancrage local et international fondé sur la diversité des relations qu’elles tissent avec leur communauté confère aux universités une position unique pour être des vecteurs d’innovation.
Penser hors des sentiers battus
Les universités sont des lieux d’effervescence intellectuelle, d’invention, d’imagination, d’audace. En repoussant toujours plus loin les frontières de la connaissance, en remettant en question les idées reçues, en explorant des champs de recherche originaux, en combinant les approches d’une variété de disciplines, les universités sont un réservoir inépuisable d’expertises et d’inventivité dont on sait qu’ils sont au cœur du processus d’innovation.
L’innovation, qu’elle soit scientifique, technologique ou sociale, n’est pas un processus linéaire. On ne peut ni la prévoir, ni la programmer, ni la planifier. Elle est le fruit d’avancées et de reculs, d’essais et d’erreurs, de réussites et d’échecs. Elle découle parfois du hasard, parfois d’une combinaison inattendue de savoirs anciens et nouveaux, parfois d’une rencontre fructueuse de chercheuses, de chercheurs issus de disciplines n’ayant pas l’habitude de dialoguer entre elles. Elle surgit bien souvent là où on s’y attend le moins.
Un système d’innovation robuste suppose donc que ses acteurs aient toute la latitude nécessaire pour poursuivre des recherches et des travaux dont on ne saisit pas d’emblée le potentiel, mais qui sont susceptibles de contribuer à répondre aux enjeux de demain. La liberté académique et l’autonomie universitaire confèrent aux universités et à leurs chercheurs cet espace unique qui leur permet de mener des recherches désintéressées, dont les retombées ne sont pas immédiatement perceptibles.
Un engagement collectif
Les universités canadiennes ont donc tous les atouts pour jouer un rôle de premier plan en matière d’innovation. En collaborant avec les acteurs sociaux et en mettant à profit leurs savoirs et leurs expertises, elles peuvent éclairer les décideurs en matière de politiques éducatives, culturelles, économiques ou sociales. Elles peuvent également aider les communautés locales à faire face aux défis qui leur sont propres, contribuer à trouver des solutions novatrices aux grands enjeux transnationaux. Elles peuvent enfin, bien sûr, favoriser le développement économique.
Toutefois, pour que ce potentiel puisse porter tous ses fruits, il faut un engagement clair de toutes et de tous. Un engagement des universités elles-mêmes d’abord. Celles-ci doivent placer leur mission sociale au cœur de leur planification stratégique. Elles doivent continuer à s’ouvrir à leurs milieux et à collaborer entre elles de façon à garder bien vivante la culture de l’innovation qui les caractérise.
Le gouvernement doit pour sa part faire preuve de leadership en faisant de l’innovation une priorité nationale et en reconnaissant le rôle fondamental qu’y jouent les universités canadiennes. Il doit concevoir l’innovation comme la clé du développement non seulement de la croissance économique, mais également du mieux-être de toute la société. Il doit adapter ses politiques en conséquence et fournir aux universités toutes les ressources nécessaires au développement d’un système d’innovation fort. Cela signifie de continuer à soutenir la recherche appliquée, certes, mais également et surtout d’investir de façon accrue en recherche fondamentale. Dans les deux cas, il faut également soutenir des domaines, les sciences humaines et les arts notamment, dont la contribution à l’innovation reste fondamentale même si elle n’est pas toujours tangible. Il s’agit d’une condition sine qua non à la capacité du Canada d’assurer son avancement collectif.