Les talents, le chaînon manquant de l’édification du pays
Par : Gabriel Miller, président-directeur général, Universités Canada
Cet article a été publié dans IPolitics on octobre 16, 2025.
Le budget de novembre est une occasion en or pour le gouvernement de prouver qu’il a à cœur le talent canadien. Pour ce faire, il devra établir des règles claires, offrir un soutien constant et démontrer une volonté ferme de mener à bien les projets d’intérêt national dont a besoin la population canadienne.
Le Canada est entré dans une ère d’ambition bâtisseuse de nation et porteuse de projets dans des secteurs comme la défense, l’intelligence artificielle et l’exploitation minière, qui définiront l’avenir du pays pour plusieurs générations. Mais rien de tout cela ne peut se concrétiser sans les ressources humaines nécessaires.
Le Canada fait actuellement face à une pénurie croissante de main-d’œuvre compétente dont dépendent ces projets — et les collectivités qui en profitent. D’ici 2033, le pays aura besoin de plus 460 000 infirmières et infirmiers, 375 000 enseignantes et enseignants, 140 000 spécialistes en génie logiciel et de dizaines de milliers d’ingénieures et d’ingénieurs dans les secteurs de l’infrastructure, de l’exploitation minière, de l’énergie et des technologies propres. Sans une relève continue de professionnelles et de professionnels formés, les projets d’intérêt national ne pourraient être menés à bien.
Que font donc les universités canadiennes pour préparer les personnes dont nous aurons besoin pour bâtir le pays? Et que doit faire le gouvernement Carney pour assurer le développement de la main-d’œuvre nécessaire au lancement et à la réalisation de ces projets?
Les universités canadiennes forgent les talents canadiens de demain. Chaque année, elles forment plus de 1,4 million d’étudiantes et étudiants, dont plus de 80 % détiennent la citoyenneté canadienne. Les salles de classe, les programmes et les laboratoires de recherche sont conçus d’abord et avant tout pour répondre à leurs besoins. Près de la moitié des étudiantes et étudiants de premier cycle participent à des programmes d’apprentissage intégré au travail, qui leur permettent d’acquérir une expérience concrète. Du lot, les trois-quarts affirment que ces programmes les ont aidés à trouver un emploi après l’obtention de leur diplôme.
Les titulaires de baccalauréats canadiens bénéficient de taux d’emploi plus élevés, de revenus qui augmentent plus rapidement et gagnent environ 1 million de dollars de plus au cours de leur vie que les personnes n’ayant pas suivi d’études postsecondaires. Voilà ce que signifie « miser sur les talents ».
La population étudiante canadienne sera toujours au cœur de la mission des universités. Les étudiantes et étudiants internationaux sont des partenaires clés qui renforcent le système, apportent des idées nouvelles, contribuent à assurer la durabilité des programmes et à stabiliser les coûts pour les familles canadiennes. Leur rayonnement se poursuit bien après l’obtention de leur diplôme : certaines personnes restent au Canada et stimulent l’innovation, tandis que d’autres retournent dans leur pays pour vanter le système d’éducation canadien et renforcer les liens commerciaux, diplomatiques et de recherche. Or, les récents changements de politique ont rompu cet équilibre, engendrant des répercussions imprévues pour les étudiantes et étudiants d’ici et faisant en sorte que le Canada soit maintenant devancé par des pays concurrents, comme le Royaume-Uni et l’Australie, dont les systèmes plus rapides et prévisibles attirent les talents les plus convoités.
La population étudiante se retrouve donc avec un choix de cours appauvri, des classes surchargées et un accès réduit aux formations qui la préparent à vie professionnelle. Des années de changements politiques brusques et de financement limité ont fini par saper la confiance du public, hausser les coûts et miner la capacité des universités à produire les diplômées et diplômés qualifiés dont le Canada a besoin.
Lorsque les universités contribuent à l’essor de la main-d’œuvre, elles changent le cours de l’histoire. Ce sont des chercheurs d’une université canadienne qui ont découvert l’insuline et complètement transformé le traitement du diabète. Ce sont des innovations développées dans des universités canadiennes qui ont mené à la cobaltothérapie, un traitement révolutionnaire contre le cancer qui a sauvé des millions de vies. Les bases de l’intelligence artificielle, qui métamorphose les industries du monde entier, ont été jetées par Geoffrey Hinton et ses collègues dans des universités canadiennes. Des laboratoires canadiens ont contribué à des avancées dans le domaine des batteries à lithium-ion, qui alimentent les voitures électriques. On peut donc constater que l’investissement canadien dans les talents ouvre le champ des possibilités : les étudiantes et étudiants formés ici sont des moteurs d’innovations qui changent des vies partout. Si le Canada investit judicieusement, il est presque assuré que nos campus seront à l’origine des prochaines percées dans les secteurs de l’IA, des énergies propres et de la santé.
La réalisation des objectifs de notre pays en matière de santé, de logement et de lutte aux changements climatiques repose sur les épaules de la population étudiante d’aujourd’hui. Leurs compétences détermineront si nos institutions sont à l’abri des cybermenaces ou dangereusement exposées. La réussite ou l’échec de chaque projet d’intérêt national annoncé par le gouvernement, qu’il s’agisse d’agrandissements d’hôpitaux, de construction de logements et d’infrastructures ou de protection des réseaux numériques, dépend de la présence de talents canadiens pour les diriger et les réaliser.
Les universités canadiennes sont prêtes à former la prochaine génération de bâtisseuses et de bâtisseurs de nation. Mais pour y arriver, elles doivent pouvoir compter sur un financement prévisible et responsable ainsi que sur une vision nationale cohérente en matière de talents. Les politiques relatives aux étudiantes et étudiants internationaux devraient favoriser l’élargissement des programmes et résorber les grandes lacunes, amplifiant ainsi les possibilités au pays.
C’est grâce aux salles de classe et aux laboratoires de recherche — terreaux de formation des étudiantes et étudiants canadiens et de notre future main-d’œuvre — que le pays pourra solidifier son économie. Le budget de novembre est une occasion en or pour le gouvernement de prouver qu’il a à cœur le talent canadien. Pour ce faire, il devra établir des règles claires, offrir un soutien constant et démontrer une volonté ferme de mener à bien les projets d’intérêt national dont a besoin la population canadienne.