Cet article d’opinion a paru dans Maclean’s le 11 octobre 2018
par Deborah Saucier, rectrice, MacEwan University
Je suis autochtone. Je suis aussi rectrice d’un établissement colonial. Cette double identité peut être difficile à porter. Faire face à une multitude de visages durant la première collation des grades à laquelle j’ai participé à titre de rectrice de la MacEwan University aurait pu être difficile, mais ce ne fut pas le cas. Outre les toges, les mortiers et les discours habituels, il y avait le son des tambours et des cérémonies de purification : des étudiants autochtones sur scène portaient une étole conçue spécialement pour eux. Voilà, ai-je alors compris, le véritable visage de la réconciliation : deux réalités distinctes, se côtoyant en harmonie.
Lever les obstacles et représenter la collectivité
Les Autochtones sont le groupe démographique qui connaît la croissance la plus importante au Canada. Leur faible taux d’admission au niveau postsecondaire a donc des répercussions considérables et concrètes. Trois des six Tables sectorielles de stratégies économiques fédérales estiment que l’avenir des principaux secteurs d’activité dépend des bassins de talent sous-utilisés dont font partie les Autochtones. Mais ces derniers doivent d’abord acquérir les compétences nécessaires. À cet égard, la pleine participation des universités est essentielle. Il faut d’abord créer des programmes qui permettent aux étudiants n’ayant pas bénéficié d’une préparation optimale d’accéder à l’éducation postsecondaire. Et il faut aussi leur apporter le soutien financier et culturel nécessaire à leur réussite.
Pour réussir à l’université, les étudiants ont aussi besoin de soutien financier. De 2001 à 2006, plus de 10 000 étudiants autochtones qualifiés n’ont pas pu obtenir le financement nécessaire pour aller à l’université. Les organisations comme Indspire, un organisme de bienfaisance national enregistré dirigé par des Autochtones, qui investit dans l’éducation, aident les jeunes Autochtones à intégrer l’université grâce à des bourses d’études, à des bourses d’excellence et à d’autres formes de soutien financier. Ainsi, un financement accru de la part du gouvernement fédéral permettrait d’aider davantage d’étudiants autochtones partout au pays.
Respecter les savoirs autochtones
Plusieurs universités, dont la MacEwan University, mettent au point des cours qui répondent aux appels à l’action de la CVR. En partenariat avec des établissements comme l’Université nuhelot’įne thaiyots’į nistameyimâkanak Blue Quills (UnBQ), nous offrons aux étudiants des possibilités d’apprentissage par l’expérience ancré dans les terres qui leur permettent de se familiariser avec les enseignements, les coutumes et les systèmes de valeurs autochtones. L’UnBQ compte parmi les établissements d’enseignement postsecondaire canadiens détenus et gérés par des membres des Premières Nations. Les dirigeants et les recteurs de ces établissements font un travail essentiel en offrant des cours indispensables malgré des moyens très limités.
Les partenariats sont une façon concrète d’honorer le savoir autochtone. Lorsque nous collaborons avec les établissements détenus et gérés par des Autochtones au lieu de nous disputer étudiants et professeurs, nous faisons preuve d’un réel engagement sur la voie de la réconciliation. La MacEwan University constate un intérêt marqué pour les cours sur les réalités autochtones, notamment de la part d’étudiants non autochtones. Mais certaines personnes s’interrogent sur la légitimité de ces cours et sur l’évaluation des résultats. Si nous voulons collaborer de manière significative avec les établissements d’enseignement autochtones, nous devons discuter sérieusement des façons de définir l’apprentissage et des différentes formes qu’il peut prendre.
La situation est meilleure que par le passé, mais il faut faire davantage. Il faut collaborer avec un plus grand nombre d’établissements d’enseignement autochtones et repenser le cadre actuel de l’éducation postsecondaire. Il faut aussi que le gouvernement investisse dans l’éducation postsecondaire des Autochtones. N’oublions pas qu’il ne tient qu’à nous de réinventer l’université.
Lorsque toutes les universités accepteront pleinement la responsabilité de s’ouvrir aux besoins essentiels des apprenants autochtones, nous pourrons enfin agir. Nous cesserons alors de parler de ce qui doit arriver et commencerons à en récolter les fruits. La réconciliation entre le Canada et les cultures, les collectivités et les peuples autochtones est un devoir moral, social et économique que les universités ne sauraient négliger. C’est une lourde responsabilité, mais heureusement, les possibilités ne manquent pas.
-30-