Article d’opinion paru dans le Hill Times le 24 mai 2017
par Joy Johnson, vice-rectrice à la recherche et aux affaires internationales, Simon Fraser University
Dans les discussions actuelles, on oppose souvent science fondamentale et innovation. Pour résoudre ce conflit apparent et maximiser la valeur des investissements fédéraux en recherche, est-il possible d’établir un véritable continuum entre la recherche fondamentale et l’innovation?
Cette question découle en partie des excellentes recommandations du récent rapport Naylor, Investir dans l’avenir du Canada : Consolider les bases de la recherche au pays. David Naylor, ancien recteur de la University of Toronto, et huit autres membres du Comité consultatif sur l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale ont souligné avec justesse la préoccupante diminution des dépenses en recherche-développement au pays au cours des 15 dernières années. Résultat : Le Canada ne figure plus parmi les 30 premiers pays à cet égard.
Face à ce recul, le Comité consultatif présidé par M. Naylor recommande un réinvestissement massif dans la recherche, tout particulièrement celle « entreprise par les chercheurs », essentielle à la création d’une économie axée sur l’innovation.
Cette recommandation soulève toutefois un argument familier. Comme l’indique le Comité consultatif, les plus grandes avancées résultent souvent de la recherche axée sur la découverte. Or, en misant sur l’innovation pour stimuler l’emploi et l’activité économique, il arrive que les dirigeants politiques privilégient la recherche appliquée ou distribuent le financement de la recherche universitaire selon les priorités des entreprises et de l’industrie.
Que les gouvernements sacrifient les avantages transformateurs de la recherche fondamentale n’est pas la solution. Il faut plutôt que les universités adoptent des stratégies qui maximisent la valeur des dépenses en recherche dans l’ensemble du continuum, de la recherche fondamentale à la recherche appliquée, et de la recherche « entreprise par les chercheurs » à la recherche « axée sur les priorités ».
Beaucoup d’universités l’ont fait. Par exemple, à la Simon Fraser University (SFU), nous avons élaboré une stratégie d’innovation qui appuie la recherche fondamentale et fournit à nos chercheurs l’aide dont ils ont besoin pour commercialiser leurs idées. Pour soutenir ce programme, nous travaillons activement à permettre aux entreprises, à l’industrie et à la société civile de tirer profit des compétences de nos chercheurs, ce qui favorise l’innovation économique et sociale.
Voici un exemple. La SFU compte une équipe chevronnée en nanotechnologie. En 2008, la professeure Bozena Kaminska et Clint Landrock, un étudiant aux cycles supérieurs, observaient avec fascination les ailes éclatantes d’un papillon Morpho bleu lorsqu’ils ont découvert que la couleur vive ne provenait pas d’un pigment, mais plutôt de trous nanométriques qui captent la lumière et la réfléchissent.
Ces moments magiques, où les chercheurs percent soudainement un mystère, se produisent fréquemment dans les universités. Puis, les chercheurs passent tranquillement à autre chose. Or, s’ils sont doués pour la recherche, ils ne sont pas nécessairement des experts du potentiel du marché et de la commercialisation. C’est pourquoi la SFU dispose de programmes tels que Venture Connection, un incubateur d’entreprises au service de tous les chercheurs de l’Université. Des formations et du mentorat y sont offerts par des spécialistes comme Doug Blakeway, un entrepreneur en résidence de Venture Connection.
Lorsque Mme Kaminska et M. Landrock lui ont présenté leur idée, M. Blakeway en a mesuré le potentiel et les a aidés à fonder Nanotech Security Corp., une entreprise aujourd’hui spécialisée dans les technologies anticontrefaçon. Nanotech fait de l’« impression » sans encre. Elle peut percer sur une surface de la taille de l’ongle de votre petit doigt 500 millions de trous qui réfléchissent la lumière et créent des hologrammes non reproductibles.
Bien entendu, l’entreprise devait miser sur la recherche appliquée pour concevoir des produits. Elle a donc fait appel à 4D LABS, le laboratoire de sciences des matériaux de la SFU. L’équipe du laboratoire est toujours prête à résoudre des problèmes avec des partenaires internes ou du secteur privé ou, comme Nanotech, à élargir ses horizons pour saisir des possibilités d’affaires.
Grâce à l’aide de 4D LABS, Nanotech fournit aujourd’hui des services de technologie anticontrefaçon de calibre mondial. Lors du Championnat d’Europe de football de 2016, l’Union des associations européennes de football (UEFA) a employé des images produites par Nanotech sur ses billets. De plus, Nanotech a récemment conclu des ententes avec une filiale de la China Banknote Printing & Minting Corporation et un fabricant d’hologrammes de haute sécurité de l’Inde. Dans le cadre d’un contrat de 30 millions de dollars conclu avec un autre organisme d’émission de monnaie, elle travaille également à la création de fonctions de sécurité des billets de banque.
En conclusion : les chercheurs de la SFU n’innovent parce que le gouvernement le leur demande, mais plutôt parce qu’ils explorent un sujet qui les passionne et qu’ils souhaitent approfondir. Le modèle d’engagement communautaire de l’Université nourrit l’intérêt des chercheurs, qui se voient présenter des questions ardues dont la résolution mène à des percées, et fournissent aux partenaires du secteur privé et de la société civile l’aide dont ils ont besoin. Ainsi, l’infrastructure et les programmes universitaires permettent de transformer les grandes découvertes en grands projets.
M. Naylor et les membres du Comité consultatif ont présenté d’excellentes raisons d’accroître le financement de la recherche entreprise par les chercheurs, et les universités canadiennes sont tout à fait en mesure d’en maximiser la valeur. Enfin, comme le démontre l’exemple de la SFU, une telle stratégie peut mener à des innovations aux retombées économiques et sociales importantes.
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