photo: University of Toronto
Cet article d’opinion a paru dans le Globe and Mail le 10 mai 2017
par Meric Gertler, recteur, University of Toronto
Pendant trop longtemps, nos plus grands talents dans des domaines en pleine effervescence comme l’intelligence artificielle quittaient le Canada pour aller bâtir leur avenir ailleurs.
Mais tout cela a changé il y a quelques semaines, lorsque certains des plus grands chercheurs canadiens du domaine de l’apprentissage profond se sont rassemblés pour célébrer l’ouverture de l’Institut Vector, à Toronto.
Cet événement marquant a été rendu possible grâce à des investissements des gouvernements ontarien et fédéral, au soutien financier d’une trentaine d’entreprises et à des décennies de recherche menée par des individus comme Geoffrey Hinton de la University of Toronto.
L’ouverture de l’Institut marque un moment important pour notre pays. Elle témoigne non seulement de notre spécialisation dans un domaine qui présente d’énormes possibilités pour l’avenir – d’ailleurs reconnue par l’investissement fédéral dans une stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle –, mais aussi des retombées à long terme que la recherche axée sur la découverte peut avoir sur notre économie et sur le monde.
L’investissement dans l’intelligence artificielle vise à faire du Canada un endroit où nos talents souhaitent faire carrière et un lieu attrayant pour le talent du monde entier. Il a pour but de mettre fin à l’exode des cerveaux.
C’est exactement ce qui s’est produit cette semaine. Basée à San Francisco, la société Uber a annoncé la création à Toronto de l’Institut Vector, un nouveau centre de recherche consacré à la conception de véhicules autonomes qui sera dirigé par Raquel Urtasun, une informaticienne de renom de la University of Toronto. Uber prévoit embaucher des chercheurs et des ingénieurs, et s’engage à investir cinq millions de dollars dans l’Institut.
Il est difficile de considérer cet engagement de plusieurs millions de dollars et le désir d’un chef de file de la recherche de demeurer au pays comme une perte pour le Canada. Pourtant, c’est exactement ce que des détracteurs ont exprimé dans un article paru dans le Globe and Mail, qualifiant cette décision de détournement du talent canadien.
L’article fait toutefois abstraction du fait que Mme Urtasun aurait tout probablement quitté le Canada pour de bon si l’Institut et la stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle n’avaient pas été instaurés. Si Uber investit à Toronto et au Canada, c’est parce qu’une grande chercheuse en intelligence artificielle ne veut pas quitter le pays.
Mme Urtasun est arrivée au Canada il y a trois ans et a choisi d’y élire domicile. « Je suis vraiment tombée amoureuse du Canada, a-t-elle affirmé cette semaine. Attirer les investissements et favoriser la création d’emplois sont des moyens de redonner au pays ». Selon elle, l’ouverture de l’Institut est un grand jour non seulement pour elle et ses étudiants, mais aussi pour la prochaine génération de Canadiens qui auront la chance de travailler à la conception de véhicules autonomes.
L’annonce survient à un moment où des pays comme les États-Unis et la Grande-Bretagne se replient sur eux-mêmes. L’Institut Vector et la nouvelle stratégie fédérale créent un engouement sans précédent dans le monde entier et contribuent à attirer le talent au Canada. Le poste de professeure à temps partiel de Mme Urtasun à la University of Toronto lui permettra de continuer à travailler avec d’excellents étudiants et collègues.
Les opposants qui se sont exprimés dans le Globe and Mail ont laissé entendre que l’ouverture de l’Institut est une catastrophe pour le Canada. Toutefois, la décision de Mme Urtasun de rester au pays plutôt que d’aller à Pittsburgh ou à San Francisco, où se situent les autres centres de recherche d’Uber, constitue en soi une grande victoire.
Un écosystème d’innovation florissant comprend à la fois des entreprises en démarrage locales et des multinationales axées sur le savoir qui investissent localement dans la recherche-développement (R-D).
Le meilleur moyen de créer une dynamique et de stimuler une croissance durable consiste à soutenir une grande diversité d’entreprises de la région et d’ailleurs, et à appuyer les jeunes entreprises quand les entrepreneurs en herbe veulent quitter les grandes sociétés pour fonder la leur. Les carrefours d’innovation du monde entier partagent ces caractéristiques.
Avons-nous besoin d’une stratégie nationale pour aider les entreprises d’ici à s’épanouir? Tout à fait. Avons-nous besoin de politiques publiques qui incitent les sociétés canadiennes à investir dans le talent et la R-D au pays? Sans aucun doute.
Il est toutefois insensé de repousser les grands joueurs du sud de la frontière, car une telle étroitesse d’esprit ne fera qu’entraîner davantage de départs.
La réussite de notre secteur d’intelligence artificielle est attribuable au travail des nombreux chercheurs et des organismes publics qui l’ont appuyé alors que les véhicules autonomes et les machines capables de pensée humaine n’étaient encore que de la science-fiction. Que des étrangers le remarquent et décident de s’établir ici est une bonne nouvelle.
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