Par Amit Chakma, recteur, la Western University
En dépit des efforts accrus déployés par les universités pour offrir aux étudiants un grand nombre de possibilités de voyager à l’étranger et de découvrir diverses parties du monde pendant leurs études postsecondaires, la grande majorité des étudiants au premier cycle choisissent aujourd’hui de rester au pays. Or, dans l’intérêt des étudiants et pour la prospérité future du Canada, cela doit changer, selon le recteur de la Western University.
Six mois après les élections fédérales d’octobre et le début de son mandat, le gouvernement libéral a envoyé des signaux encourageants laissant entendre qu’il reconnaît que l’éducation internationale a le potentiel de devenir un moteur important de développement économique et de prospérité au Canada.
Parmi ces signaux comptait le rétablissement, en février, de la marque ÉduCanada, conçue pour faire la promotion des établissements postsecondaires canadiens à l’étranger. Arborant le slogan « Un monde de possibilités/A world of possibilities », la nouvelle image présente le Canada comme une destination de choix pour les étudiants étrangers qui souhaitent faire leurs études dans le marché mondial de l’éducation.
En mars, le ministre de l’Immigration John McCallum a déclaré son intention de réformer le programme Entrée Express, un système automatisé qui fait le jumelage entre employeurs et travailleurs étrangers, mais qui a pourtant rejeté des milliers de finissants étrangers déjà au pays au profit de travailleurs potentiels souhaitant entrer au pays.
« Les étudiants étrangers ont été lésés par le programme Entrée Express », a déclaré le ministre, ajoutant que les nouveaux diplômés sont « la crème des futurs Canadiens potentiels et représentent une source de nouveaux immigrants pour le Canada. »
En avril, dans un discours prononcé devant le Conseil d’affaires Canada-Chine, la ministre du Commerce international Chrystia Freeland aurait proposé au gouvernement et aux entreprises de collaborer pour parrainer 100 000 étudiants canadiens qui souhaitent étudier en Chine.
« Les rapports humains sont essentiels pour bâtir des relations réelles, fortes et durables », a affirmé la ministre Freeland, faisant allusion à la campagne américaine « 100 Thousand Strong », une initiative semblable appuyée par le président Barack Obama et visant aussi à renforcer les relations bilatérales au moyen des échanges étudiants.
La proposition manifestement ambitieuse de la ministre a retenu tout particulièrement mon attention parce qu’elle est étroitement liée à l’une des principales recommandations formulées dans un rapport auquel j’ai contribué en 2012 à titre de président du Comité consultatif sur la stratégie internationale en matière d’éducation du gouvernement fédéral.
Dans le rapport, le groupe d’experts soutient que le gouvernement fédéral doit financer, en partenariat avec les établissements d’enseignement et les gouvernements provinciaux et territoriaux, un important programme de mobilité étudiante afin de permettre au Canada de réaliser ses aspirations au sein d’une économie mondiale et d’un marché mondial de l’éducation concurrentiels. L’objectif consiste à offrir à 50 000 étudiants canadiens par année l’occasion d’aller étudier à l’étranger ou de participer à des échanges culturels, à des programmes d’apprentissage par le service communautaire et à d’autres activités d’apprentissage fondées sur l’expérience, d’ici 2022.
Le groupe d’experts recommande également que le financement fédéral soit accompagné d’un financement de contrepartie de la part des établissements, des gouvernements provinciaux ou territoriaux ou de donateurs privés selon un ratio de deux pour un. Une telle initiative constituerait un complément important aux programmes des établissements qui offrent des possibilités semblables d’échanges de professeurs et de partenariats de recherche avec des établissements étrangers.
J’appuie l’ambitieuse proposition de la ministre Freeland consistant à envoyer 100 000 étudiants canadiens à l’étranger, et j’estime encore plus important de réfléchir aux principes qui la sous-tendent ainsi qu’à l’utilité de faire progresser activement une telle politique pour appuyer au mieux la formation de nos futurs citoyens du monde.
Dans un sondage réalisé en 2014 auprès des universités canadiennes sur leurs activités d’internationalisation, Universités Canada met en lumière les forces, les avantages et les lacunes des programmes de mobilité étudiante.
Le rapport du sondage décrit la mobilité étudiante comme « l’un des sujets les plus abordés dans les discussions canadiennes et mondiales sur l’internationalisation de l’enseignement supérieur. Les deux impératifs que représentent la formation de citoyens du monde et la préparation des futurs travailleurs à un marché du travail mondialisé grâce à l’enseignement de compétences interculturelles sont de plus en plus vus comme des raisons essentielles de promouvoir l’expérience internationale chez les étudiants canadiens, à l’étranger comme sur les campus canadiens. »
Or, malgré le fait que 97 pour cent des universités canadiennes offrent de plus en plus de possibilités d’apprentissage à l’étranger, le sondage révèle que, en 2012-2013, seuls 3,1 pour cent des étudiants à temps plein au premier cycle (environ 25 000) y ont pris part – un nombre tristement faible resté inchangé depuis des années. À cet égard, les étudiants canadiens sont à la traîne par rapport à leurs homologues européens et australiens, plus enclins à voyager dans le cadre de leurs études postsecondaires.
Le plus souvent, les universités ont mentionné le manque de fonds ou d’aide financière comme les plus importants obstacles à la mobilité des étudiants vers l’étranger dans le cadre de leur formation : 54 pour cent l’ont désigné comme le principal obstacle et 91 pour cent comme l’un des trois principaux obstacles. Près de la moitié (49 pour cent) ont désigné le manque de souplesse ou la lourdeur des programmes d’études comme des facteurs qui empêchent les étudiants d’aller à l’étranger, suivi du manque d’intérêt ou de la méconnaissance des avantages de la part des étudiants (39 pour cent).
À la Western University, nous travaillons d’arrache-pied pour augmenter le nombre de possibilités d’apprentissage à l’étranger offertes à nos étudiants et éliminer les obstacles à leur participation. Bien que nous ayons fait des progrès en augmentant la quantité et la qualité des programmes et en faisant la promotion des avantages qu’ils procurent, nous continuons d’éprouver des difficultés à accroître la participation des étudiants.
Pendant l’année scolaire 2014-2015, environ 1 700 étudiants de la Western University au baccalauréat, à la maîtrise et au doctorat ont vécu une expérience d’apprentissage à l’étranger, ce qui représente moins de six pour cent des étudiants à temps plein (28 900).
L’initiative « Alternative Spring Break » (semaine de relâche 2.0), l’un de nos programmes d’apprentissage à l’étranger les plus anciens et les plus populaires, permet aux étudiants de participer à des projets de service communautaire au sein d’organisations régionales, nationales et mondiales. Depuis son lancement en 2002-2003, près de 2 000 étudiants sont allés un peu partout au pays, aux États-Unis et dans des pays des Caraïbes, d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, et sont revenus dotés d’un sens de l’engagement civique, d’une sensibilisation aux autres cultures et d’un sentiment de compétence. Quoique les étudiants doivent financer leur participation au programme, des bourses d’études et des programmes d’aide financière commandités par des donateurs sont offerts aux étudiants qualifiés pour les aider à compenser les coûts.
La toute dernière initiative de votre Université à ce sujet est la « International Learning Award » (bourse d’études pour l’apprentissage à l’étranger). Aussi appelée « Boarding Pass » (carte d’embarquement), l’initiative accorde 1 000 $ à tous les étudiants à temps plein en deuxième année qui maintiennent une moyenne d’au moins 80 pour cent et qui souhaitent vivre, en troisième année, une expérience d’apprentissage à l’étranger approuvée par l’Université. À l’instar d’autres universités, la Western University a ajouté cette mesure d’incitation au recrutement dans ses trousses d’admission pour la première fois cette année. Compte tenu de la qualité des étudiants qui fréquentent notre université (la moyenne d’entrée est la plus élevée parmi les universités de l’Ontario), nous prévoyons que jusqu’à 40 pour cent de la cohorte de cette année (5 200) sera admissible à la bourse d’études.
Il va sans dire que ce montant ne suffit pas pour couvrir le coût total de la plupart des séjours d’apprentissage à l’étranger, mais il envoie tout de même aux étudiants le message que ce genre d’expériences est important et a de la valeur. Je me suis donné pour objectif de faire connaître ces programmes sur mon campus et d’inciter les professeurs à emmener leurs étudiants hors du pays, que ce soit pour de courts séjours ou pour effectuer du travail sur le terrain, une initiative qui reçoit aussi un financement supplémentaire de l’Université.
Les étudiants et les parents qui peinent déjà à assumer le coût d’une formation universitaire (et pour plusieurs, la dette qui s’y rattache) sont en droit de se demander ce qu’ils retireront de cet investissement de temps et d’argent.
Comme l’a rapporté Tim Johnson dans un article publié récemment dans Affaires universitaires, les résultats de plusieurs études peuvent nous aider à répondre à cette question. Par exemple, selon une enquête commandée par le Bureau canadien de l’éducation internationale (BCEI), 90 pour cent des diplômés qui ont vécu une expérience d’apprentissage à l’étranger affirment qu’elle a contribué à leurs réalisations professionnelles. Selon une autre étude du BCEI, environ 80 pour cent des responsables de l’embauche estiment que la compréhension interculturelle et la connaissance d’un marché étranger par leurs employés sont des atouts concurrentiels pour leur entreprise. M. Johnson affirme que, au-delà de nos frontières, les anciens participants au programme de mobilité étudiante de l’Union européenne Erasmus affichent un taux de chômage de 23 pour cent inférieur à leurs pairs cinq ans après l’obtention du diplôme.
Ainsi, alors que des obstacles comme le coût et le temps des études à l’étranger peuvent dissuader les étudiants, les retombées à long terme – pour les participants et la société dans son ensemble – constituent autant de raisons de surmonter ces obstacles.
En tant qu’immigrant bangladais ayant étudié et travaillé dans de nombreux pays et dans cinq provinces canadiennes au cours des 30 dernières années, j’estime que la valeur intrinsèque d’élargir sa vision du monde par l’éducation internationale est évidente. L’importance de préparer les jeunes canadiens à évoluer dans l’économie mondiale doit prouver la nécessité des programmes qui promeuvent et appuient les possibilités pour les étudiants de considérer le monde comme une école.