Article d’opinion paru dans le magazine Options politiques le 19 novembre 2018
par Paul Davidson, président-directeur général, Universités Canada et Roberta Jamieson, présidente-directrice générale, Indspire
L’éducation postsecondaire est la voie à suivre pour les jeunes qui souhaitent élargir leurs horizons dans notre monde en constante évolution. Au Canada, nous estimons que chacun devrait avoir les outils dont il a besoin pour réaliser son plein potentiel. Malheureusement, de nombreux jeunes n’ont pas le soutien nécessaire pour entreprendre des études postsecondaires et les réussir. C’est le cas des apprenants autochtones, qui doivent surmonter des obstacles considérables.
Les séquelles des pensionnats, un passé marqué par la discrimination et des désavantages socioéconomiques persistants ont entraîné de profondes inégalités qui empêchent souvent les étudiants autochtones d’atteindre leurs objectifs scolaires, peu importe leur volonté et leurs efforts. Les statistiques les plus élémentaires en témoignent : près de 30 pour cent des Canadiens non autochtones de 25 à 64 ans possèdent un diplôme universitaire, contre à peine plus de 10 pour cent des Autochtones du même groupe d’âge. Dans les réserves, moins de quatre enfants sur 10 obtiennent leur diplôme d’études secondaires, contre 90 pour cent des apprenants non autochtones.
Nous avons la responsabilité morale de veiller à ce que les apprenants autochtones jouissent du même accès que les autres à l’éducation postsecondaire. Notre pays tout entier en tirera profit – socialement, culturellement et économiquement. Le Centre d’étude des niveaux de vie estime que le fait de combler le fossé en matière d’éducation des Autochtones et les disparités d’emploi et de revenu qui s’y rattachent pourrait augmenter le produit intérieur brut (PIB) du Canada de 36,4 millions de dollars d’ici 2031.
Notre expérience et de plus en plus de données révèlent que la collaboration entre les universités et les collectivités autochtones est indispensable à la réparation de nos torts et à la création de conditions gagnantes pour les étudiants autochtones. Et il est particulièrement essentiel à la réussite de nos efforts que ceux-ci soient consultés. Leurs points de vue et expériences doivent jouer un rôle central dans l’élaboration des politiques publiques dans ce domaine.
C’est un premier pas, mais il reste beaucoup à faire
Plus de 70 pour cent des universités ont établi des partenariats avec des collectivités et des organisations autochtones afin de favoriser le dialogue et la réconciliation. Depuis 2013, ces initiatives ont fait progresser de 55 pour cent le nombre de programmes universitaires axés sur les étudiants autochtones ou spécialement conçus pour eux. Pourtant, des obstacles subsistent.
L’accès est un grave problème : beaucoup d’apprenants des Premières Nations n’ont pas les moyens financiers d’aller à l’université. Mais il ne s’agit pas de leur seul défi. Bon nombre de ceux qui accèdent à l’éducation postsecondaire éprouvent des difficultés. Les universités et les collèges sont en général loin de leur collectivité et de leur famille, et ils se retrouvent séparés de leur langue, de leurs traditions et de leurs cultures. La transition peut être extrêmement brutale et, souvent, les étudiants qui se sentent dépassés n’ont pas accès aux ressources et au soutien dont ils ont besoin.
Les établissements postsecondaires et les décideurs qui cherchent à savoir quelles améliorations apporter auraient intérêt à remonter à la source et à poser la question directement aux étudiants. C’est exactement ce qu’Universités Canada et Indspire ont fait en septembre dernier en réunissant lors d’une table ronde de jeunes dirigeants autochtones, des administrateurs universitaires de haut rang et des représentants du gouvernement et du milieu des affaires. L’objectif était de connaître l’avis des apprenants des Premières Nations, inuits et métis et de commencer à planifier avec eux la réussite à venir de leurs pairs.
Les étudiants savent ce dont ils ont besoin
Les étudiants à qui nous avons parlé nous ont dit avoir besoin de financement supplémentaire pour surmonter les difficultés liées à l’accès. Ils souhaitent être mieux représentés sur les campus. Ils veulent davantage de services et de programmes, comme des centres pour étudiants autochtones et la possibilité d’entrer en contact avec des aînés.
Selon Tracie Léost, étudiante à l’Université de Regina, les centres pour étudiants autochtones sont particulièrement importants, car en plus d’être un lieu d’apprentissage et d’enseignement sécuritaire, ils offrent les services de garde et la nourriture que certains étudiants ne seraient peut-être pas en mesure de se payer autrement. Ils aident en outre à retrouver un sentiment d’appartenance.
Les étudiants autochtones aimeraient aussi que les programmes d’études leur ressemblent davantage. Selon Maatalii Okalik, originaire du Nunavut et ancienne présidente du National Inuit Youth Council, les programmes devraient tenir compte de tous les peuples autochtones : les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Comme elle le dit si bien : « Aucun programme ne peut répondre à tous les besoins. Pour favoriser la réussite des étudiants autochtones aux études supérieures, il est primordial de reconnaître les points de vue, la réalité et la culture des Inuits. »
En plus de la table ronde de septembre, Indspire a réalisé un sondage auprès des étudiants autochtones de partout au pays. Les résultats ont été publiés en novembre 2018 dans un rapport intitulé Truth and Reconciliation in Post-Secondary Settings: Student Experience (vérité et réconciliation en milieu postsecondaire : l’expérience étudiante).
Les résultats ont révélé que les étudiants ont besoin d’aide pour se loger, se nourrir, s’occuper de leurs enfants et visiter leurs collectivités accessibles par avion seulement; que leurs besoins financiers ne sont généralement pas comblés. Une fois sur le campus, ils profitent des services qui leur sont offerts, comme les centres autochtones, mais ils les trouvent souvent surutilisés et sous-financés. Leurs programmes d’études abordent souvent trop peu les enjeux autochtones. Le personnel et les enseignants des établissements d’éducation postsecondaire n’ont généralement pas assez de formation et de connaissances en histoire autochtone; et il n’y a pas assez d’autochtones parmi les professeurs, les chargés de cours et les membres du personnel, ce qui prive les apprenants des modèles et des mentors dont ils ont tant besoin. Les étudiants ont été nombreux à affirmer que des formations obligatoires en histoire autochtone devraient être offertes à tous les employés et membres du personnel enseignant.
La voie à suivre
Les Autochtones sont le groupe démographique qui croît le plus rapidement au Canada. Ils sont aussi plus jeunes que la moyenne canadienne. Plus de 130 000 Autochtones de 17 à 51 ans seront admissibles à fréquenter un établissement postsecondaire d’ici 2023. Nous devons être prêts à les accueillir. Faciliter la réussite des étudiants autochtones est un aspect essentiel du processus de réconciliation.
Pour offrir les mêmes chances à tout le monde, nous demandons au gouvernement du Canada d’accroître les investissements destinés aux apprenants des Premières Nations, inuits et métis dans le budget de 2019, comme il l’avait promis dans le budget de 2017.
Ces investissements doivent comprendre un financement pour les partenariats et les programmes universitaires qui favorisent la réussite des étudiants autochtones et dont le contenu tient compte des savoirs et de l’histoire autochtones et les respecte. Des fonds supplémentaires doivent aussi servir à tirer profit de la précieuse expérience d’Indspire et l’aider à remettre davantage de bourses d’études et de soutien. À ce jour, 90 pour cent des étudiants soutenus par l’organisme ont obtenu leur diplôme. Malheureusement, Indspire ne peut fournir qu’environ 20 pour cent des fonds dont ils ont besoin, et certains étudiants doivent malgré tout composer avec des pressions financières constantes.
En tant que pays et société, nous avons la responsabilité de nous assurer que tous les étudiants ont ce dont ils ont besoin pour réaliser leurs rêves et tirer le maximum des possibilités qui s’offrent à eux. Il le faut non seulement pour faire progresser la réconciliation, mais aussi pour faire du Canada un pays fort, novateur et solidaire. Ainsi, nous serons mieux en mesure de prospérer dans un monde et une économie mondiale en constante évolution.
Suivons la voie que nous montrent les étudiants autochtones.
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