Cet article d’opinion a paru dans le magazine Options politiques le 16 février 2017
par Sheila Cote-Meek, vice-rectrice adjointe aux études et aux programmes autochtones à l’Université Laurentienne et conférencière à Carrefour 2017, organisé par Universités Canada.
Nous devons imaginer un système d’éducation qui réponde mieux aux besoins des peuples autochtones.
Les 94 appels à l’action lancés par la Commission de vérité et réconciliation (CVR) ont poussé nombre d’établissements postsecondaires canadiens à réexaminer leurs modes d’éducation des étudiants autochtones. La CVR invite tout particulièrement les établissements postsecondaires à répondre à ses appels à l’action et à faire office de chefs de file au chapitre de l’éducation. Comme l’a précisé son président, le sénateur Murray Sinclair, « l’éducation est la source du problème…, mais elle est également essentielle à la réconciliation ».
Le défi pour les établissements postsecondaires consiste à trouver comment assumer ce rôle de chefs de file de manière à garantir la reconnaissance, par les éducateurs, des pratiques coloniales de longue date qui ont profondément affecté de nombreux Autochtones. Pour répondre comme il se doit aux appels à l’action de la CVR, il importe de bien comprendre à quel point ces pratiques restent encore aujourd’hui intégrées à notre système d’éducation.
Les réactions positives du milieu de l’éducation postsecondaire aux recommandations de la CVR permettent d’espérer qu’un changement plus profond, systémique et transformateur est possible. Mes fonctions actuelles à l’Université Laurentienne, de même que mes recherches sur les parcours d’étudiants et de professeurs autochtones, m’ont permis de constater la persistance de nombreux problèmes systémiques qui entravent la réussite des étudiants autochtones au sein des universités canadiennes.
En règle générale, les éducateurs connaissent mal les peuples autochtones, ainsi que leurs histoires, leurs visions du monde et leur culture. Il existe nombre d’exemples de la manière dont les visions stéréotypées issues d’idéologies racistes influent sur la perception des peuples autochtones au sein de la société et du système d’éducation. Pour que la réconciliation se concrétise, nous devons d’abord nous engager à travailler ensemble à résoudre les problèmes de longue date auxquels les peuples autochtones se heurtent chaque jour.
Les gens expriment certes un désir de changement, tout en se demandant ce qui doit changer exactement. Le problème est complexe. Il ne peut être résolu que par un dialogue, suivi d’actes. L’avènement d’un changement plus profond, systémique, transformateur et porteur de réconciliation exige de tenir compte d’au moins quatre mesures qui se recoupent : remédier à la sous-représentation systémique des Autochtones à l’université; allouer des ressources suffisantes à tout programme ou à tout changement mis en place; apporter des modifications structurelles en prenant les décisions qui s’imposent; et modifier la culture institutionnelle.
Le faible nombre de professeurs autochtones est un exemple de la sous-représentation systémique des Autochtones dans le milieu universitaire. La plupart des professeurs autochtones travaillent dans les départements d’études autochtones, qu’ils aient ou non une expertise dans d’autres disciplines. Trop souvent, les contributions des peuples autochtones à d’autres disciplines sont ignorées. Pour mesurer l’ampleur de la sous-représentation des Autochtones au sein du corps professoral, il faut examiner ce qui est enseigné à l’université, comment ce l’est, et par qui.
À la suite des appels à l’action de la CVR, on constate un renforcement de l’attention accordée aux programmes d’études, à tous les niveaux. Toutefois, accroître le contenu et les points de vue autochtones exige plus que leur ajout pur et simple aux programmes d’études existants; il faut un dialogue, ainsi qu’une compréhension approfondie de l’histoire du pays, et des relations entre les peuples autochtones et les premiers colons. J’estime que les professeurs autochtones doivent jouer un rôle important par rapport aux changements à apporter aux programmes d’études.
J’ai compris depuis longtemps l’importance de la participation des professeurs autochtones au changement sur le plan théorique; toutefois, mon travail au sein d’une université qui s’emploie à accroître le nombre des professeurs autochtones, dans diverses disciplines, m’a montré que l des changements plus profonds au système exigent un plus grand nombre de professeurs autochtones. À l’Université Laurentienne, les professeurs autochtones ont contribué de manière extrêmement importante à l’élaboration de nouveaux cours intégrant les points de vue autochtones dans un large éventail de disciplines (anglais, histoire, sociologie, architecture, etc.). Ces cours ont pour effet d’exposer les étudiants aux points de vue et aux contenus autochtones dans leur domaine d’études.
Toute modification d’un système exige des ressources, financières ou humaines. Pour entraîner un changement durable, on a besoin de ces deux types de ressources. De nombreux établissements postsecondaires ont reconnu la nécessité de disposer de services de soutien destinés aux étudiants autochtones, qui leur permettent d’avoir accès à une aide essentielle et à des lieux sûrs. On ne peut toutefois conférer au personnel de ces services des responsabilités éducatives, voire de soutien de tout le système. Il y a un besoin de ressources pour embaucher des spécialistes en matière de programmes d’études autochtones, chargés d’aider les professeurs et les responsables des disciplines à acquérir des compétences pédagogiques et des connaissances qui contribuent à la réconciliation.
De plus, les universités ne peuvent pas se contenter d’attendre que les Autochtones instaurent eux-mêmes des changements systémiques. Les non-Autochtones ont également besoin d’avoir un espace et du temps pour apprendre l’histoire et la culture autochtones, ainsi que pour découvrir comment tisser des liens porteurs de réconciliation avec les peuples autochtones. Un système d’éducation ne peut engendrer la réconciliation sans s’attaquer aux idées préconçues et aux attitudes qui perpétuent une perception stéréotypée des peuples autochtones.
La réconciliation exige également une modification des systèmes de gouvernance. Les peuples autochtones réclament depuis plus de 50 ans que le contrôle de l’éducation des Premières Nations par les Premières Nations elles-mêmes. Les dirigeants universitaires doivent comprendre à quel point il importe aux Autochtones de prendre part aux processus décisionnels qui les touchent. La réconciliation n’est possible qu’à condition que les dirigeants universitaires reconnaissent le bien-fondé et soutiennent la poursuite de ce grand objectif. Pendant trop longtemps, les peuples autochtones ont été écartés des postes décisionnels et privés des perspectives d’emploi au sein des établissements d’éducation. Le changement exige entre autres la nomination d’un nombre accru d’Autochtones au sein des conseils d’administration et des sénats des universités, ainsi que l’embauche d’un plus grand nombre d’Autochtones à des postes décisionnels de haut rang. Ces mesures témoigneront d’un réel engagement à l’égard de la réconciliation.
Enfin, il est essentiel de modifier la culture institutionnelle. La réconciliation durable exige que l’on se penche sur les structures systémiques des universités et de la société dans son ensemble. Une transformation durable et à long terme exige de réexaminer les structures en profondeur, ainsi que d’imaginer un système d’éducation qui réponde mieux aux besoins des peuples autochtones. Ce processus nécessitera un dialogue ouvert et honnête, ainsi qu’une détermination à transformer la culture institutionnelle. Les peuples autochtones doivent être présents aux tables où les décisions sont prises. En d’autres termes, un tel changement exige une vision radicalement différente de celle qui prévaut actuellement.
Malgré les défis auxquels ils se heurtent, de plus en plus d’étudiants autochtones accèdent aux études postsecondaires. On constate également une augmentation du nombre de professeurs autochtones dans diverses disciplines, ainsi que d’Autochtones titulaires de divers postes, y compris de postes de haut rang. Si l’on se tourne vers l’avenir, les universités dont la participation à la réconciliation sera importante verront leurs dirigeants se rallier autour du changement pour que les Autochtones puissent pleinement intégrer le système d’éducation postsecondaire.
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Sheila Cote-Meek est vice-rectrice adjointe aux études et aux programmes autochtones à l’Université Laurentienne. À ce titre, elle dirige entre autres des initiatives axées sur l’éducation des Autochtones. Mme Cote-Meek est l’auteure de « Colonized Classrooms : Racism, Trauma and Resistance in Post-Secondary Education.» Elle a pris la parole à l’occasion de Carrefour 2017, organisé par Universités Canada.