Rhonda Lenton, rectrice et vice-chancelière de l’Université York, revient sur son parcours de dirigeante et donne des conseils aux futures générations de femmes.
Quels sont les avantages d’avoir des femmes en gestion?
Outre le fait que la diversité s’en trouve améliorée, des études ont démontré que les femmes affichent, plus que les hommes, les traits de personnalités caractéristiques des bons leaders : humilité, lucidité, maîtrise de soi, éthique, habiletés sociales, intelligence émotionnelle et bienveillance. De plus, en moyenne, les femmes ont tendance à préconiser un style de gestion démocratique, à incarner un leadership transformationnel, à servir de modèle, à être à l’écoute des autres et à faire éclore le potentiel de leurs employés. Des recherches menées par Gallup ont révélé qu’en 1953, 66 pour cent des Américains préféraient travailler pour un dirigeant. Aujourd’hui, 77 pour cent d’entre eux indiquent préférer être supervisés par une femme.
La pandémie de COVID-19 a démontré les avantages d’un leadership féminin : d’un point de vue objectif, les pays dirigés par une femme auraient mieux géré la crise. Et pourtant, malgré une augmentation stable du taux de dirigeantes dans les secteurs public et privé, Statistique Canada rapporte que moins de 20 pour cent des postes de haute direction sont occupés par des femmes. Voilà une véritable occasion manquée.
Selon le cabinet McKinsey, une meilleure égalité des genres ferait en sorte que le produit intérieur brut mondial serait plus élevé de 12 billions de dollars. La Banque mondiale rapporte quant à elle que les inégalités de genres représentent une perte de revenus de 23 620 dollars par personne, et des pertes de 160 billions de dollars en matière de capital humain.
Je suis fière de dire qu’à l’Université York, environ la moitié de nos doyens et quatre vice-recteurs sur cinq sont des femmes. Je suis tellement impressionnée par le leadership transformationnel dont font preuve toutes nos dirigeantes, en particulier en cette période de crise sanitaire sans précédent.
Notre directrice générale de la sécurité communautaire, Samina Sami, par exemple, a dirigé le Centre d’opérations d’urgence de l’Université et travaillé sans relâche à la planification du plan d’intervention. Elle a élaboré des mesures exhaustives qui ont su protéger nos 60 000 membres. Et que dire du travail accompli par Parissa Safai, conseillère spéciale du rectorat pour la planification de la continuité des activités universitaires et la réponse à la COVID-19, qui a dirigé l’équipe responsable de la réponse sanitaire de l’Université au cours des deux dernières années.
Afin de bâtir un monde résilient, équitable et pérenne, il est clair que nous devons nommer des femmes à la tête de nos organisations et établissements, proportionnellement à leur présence dans la société.
Quel est l’obstacle le plus important qui s’oppose au leadership des femmes?
Il ne fait plus de doute qu’une meilleure représentation féminine parmi nos dirigeants, chefs d’entreprise, recteurs et politiciens aidera à faire progresser l’égalité des genres.
Toujours est-il qu’il incombe encore aux femmes d’effectuer la majorité des tâches ménagères et parentales. Qui plus est, parce que le salaire moyen des hommes est plus élevé, c’est souvent les femmes qui restent à la maison avec les enfants quand il n’est pas possible de les envoyer dans un service de garde abordable et de qualité. La pandémie a levé le voile sur le clivage inéquitable qui réside entre les hommes et les femmes, lequel a été particulièrement exacerbé lors de la transition vers l’école en ligne et le télétravail. Nous avons toutes été témoin des conséquences démesurées de la crise sur les femmes – particulièrement les femmes racisées, à faible revenu et autochtones –, ce qui a souligné l’urgence de comprendre l’effet grandissant des inégalités intersectionnelles sur la charge parentale et domestique des femmes, ainsi que sur le chômage, le sous-emploi et les risques connexes comme la violence sexiste.
Je crois que ces inégalités structurelles s’additionnent et éloignent les femmes des postes de direction. Si je me fie à mon expérience personnelle, je peux affirmer sans l’ombre d’un doute que mon parcours professionnel dans le monde universitaire a été facilité par le fait que mon conjoint était aussi très impliqué, et que j’ai eu accès à un congé parental d’un an et à des services de garde.
Quelle est l’importance d’être mentorée pour s’épanouir dans un poste de gestion?
Plusieurs organisations prônent la diversité au sein des équipes de gestion, et je crois fermement que le mentorat contribue à notre croissance personnelle et professionnelle, et ce, à tous les stades de notre carrière. Le point de vue et les conseils qu’offre un mentor sont inestimables.
Je crois qu’il est encore plus vital pour notre carrière de recevoir l’appui d’une personne qui nous marraine, et qui, grâce à son influence sociale et sa crédibilité, peut nous mettre de l’avant dans une organisation. Les femmes qui peuvent compter sur une marraine ont 27 pour cent plus de chances que leurs pairs d’être à l’aise de demander une augmentation de salaire, et sont 22 % plus susceptibles de demander les fameuses « affectations enrichies » qui permettent d’enrichir ses habiletés et de se construire une réputation de gestionnaire.
Selon un rapport publié en 2011 par le Harvard Business Review, les parrains ou marraines offrent non seulement des conseils à leurs protégées, mais vont aussi les représenter, les défendre, les préparer et les pousser à se dépasser. Dans la même étude, on constate que les hommes, tout comme les femmes, négligent l’importance d’avoir un bon réseau d’alliés sur le plan professionnel, ou ont de la difficulté à l’entretenir. Cependant, les femmes ont 54 % moins de chances que les hommes d’avoir quelqu’un pour les appuyer.
Sachant que les données relatives à la parité en milieu de travail s’améliorent lentement mais sûrement, nous devons, à titre de dirigeantes, nous mobiliser pour cibler les obstacles, bâtir un réseau d’alliés, nous mettre de l’avant et, surtout, être des alliées pour les autres. J’ai eu de la chance : de nombreuses personnes m’ont prise sous leur aile au cours de ma carrière, en particulier une doyenne avec qui je travaillais lorsque j’étais directrice des programmes de premier cycle de mon département. À noter que j’ai pris moi-même l’initiative d’accepter ce poste, mais cette doyenne a su voir mon potentiel et a poussé ma candidature comme doyenne associée.
Quel conseil donneriez-vous à la prochaine génération de dirigeantes?
Il faut aider les autres à notre tour. C’est d’ailleurs ce qui m’a attirée à l’Université York : l’importance qu’elle accorde à l’accessibilité de l’éducation. Dans notre Plan académique 2020-2025 : Bâtir un avenir meilleur, nous invitons tout le monde à s’engager concrètement pour faire avancer les objectifs de développement durable des Nations Unies, dont le cinquième objectif qui porte sur l’égalité des sexes, afin d’offrir un accès équitable à l’éducation et de faire progresser l’équité dans le milieu de la recherche.
Le meilleur conseil que je pourrais donner, c’est de reconnaître que nous faisons face à des obstacles et de s’engager à faciliter les choses pour les générations futures, sans hésiter à dénoncer les mauvaises attitudes. Malheureusement, on voit encore le manque de respect que certaines personnes réservent aux dirigeantes. Longtemps, j’ai choisi d’ignorer ces comportements, mais ça ne fait que les renforcer.