Réduire les inégalités entre les sexes dans les universités canadiennes

30 août 2016
Photo of Vianne Timmons, president, University of Regina.

Cette lettre d’opinion a paru dans le numéro de septembre-octobre 2016 du magazine Policy.

Par Vianne Timmons, rectrice, la University of Regina

Les universités sont de formidables établissements progressistes conçus pour promouvoir des idées. Nous les percevons comme des égalisateurs — des moyens d’assurer que, quelle que soit leur origine, les diplômés disposent du même avantage dans le monde. Il est donc naturel que ces établissements soient des chefs de file de l’inclusion et de la diversité. Toutefois, les chiffres démentent cette perception, et les données en matière de diversité et d’égalité entre les sexes sont préoccupantes. Selon la rectrice de la University of Regina, Vianne Timmons, les universités se doivent d’être des précurseurs en matière d’égalité.  

En 1996, lorsque j’ai accepté le poste de doyenne de la faculté d’éducation de la University of Prince Edward Island (UPEI), j’ai été ravie de voir une femme première ministre, une femme ministre de l’Éducation, une femme sous-ministre de l’Éducation et une femme rectrice de l’Université. J’ai alors cru que nous y étions finalement parvenues. Comme j’avais tort! Le phénomène a été très éphémère et sans tarder, des hommes sont venus occuper ces postes, que très peu de femmes ont repris par la suite.

Au milieu des années 1990, environ 18 pour cent des universités étaient dirigées par des femmes au Canada. Vingt ans plus tard, en 2016, les chiffres ont à peine progressé avec 23 pour cent. Pour la publication de l’article de 2014 intitulé Historical changes to the Canadian university presidency (Évolution historique du rectorat au Canada), David H. Turpin, Lidgard De Decker et Brendan Boyd ont effectué un examen historique exhaustif des changements survenus à la direction des universités canadiennes, y compris de la présence des femmes au rectorat. Le tableau qui illustre l’augmentation du nombre de femmes dans ces postes dans les années 1990 reflète bien mon expérience : la présence féminine a commencé à se faire sentir, mais elle s’est stabilisée autour d’à peine 20 pour cent.

Il faut également souligner que le taux de femmes qui occupent des postes de vice-rectrices aux études (37 pour cent) et de vice-rectrices à la recherche (27 pour cent) demeure faible, selon une étude effectuée en 2016 par Universités Canada. Sachant que la majorité des recteurs ont d’abord été vice-recteurs, il y a lieu de croire que, dans un avenir prévisible, cette situation ne jouera pas en faveur des femmes. Ces chiffres sont doublement inquiétants, car ils semblent n’indiquer aucun progrès vers l’égalité entre les sexes dans le milieu universitaire. Il est donc essentiel que les administrateurs universitaires qui embauchent tentent activement de recruter des candidats des deux sexes et des minorités visibles. C’est la seule façon d’atteindre l’équité.

La question de l’équité a aussi été abordée en raison des préoccupations soulevées par plusieurs relativement au faible taux de femmes titulaires de chaires de recherche du Canada : 29 pour cent en février 2016, selon le Programme de chaires de recherche du Canada. En outre, en 2010, le taux de femmes occupant un poste de professeure titulaire atteignait à peine 30 pour cent en sciences humaines, et 17 pour cent en science, en technologies, en génie et en mathématiques (STGM) ainsi qu’en médecine, selon Statistique Canada. Ces chiffres nous portent à croire qu’il existe définitivement un problème généralisé dans nos universités.

Le problème ne se limite pas au Canada. Dans les pays de l’Union européenne, seules 10 pour cent des universités sont dirigées par des femmes. La Suède fait exception avec un taux de 43 pour cent de femmes rectrices, selon un article de 2014 de Helen Peterson, professeure suédoise. En fait, même si les universités canadiennes se classent plutôt bien par rapport aux autres en matière de représentation hommes-femmes, elles ne progressent pas comme elles le devraient.

Après ma nomination de 1996, je suis devenue la première femme à occuper le poste de vice-rectrice au développement universitaire de la UPEI, et la première rectrice de la Saskatchewan. Plusieurs universités canadiennes n’ont encore jamais eu une femme à leur tête. J’espère voir le jour où il ne sera plus question de premières de ce genre pour les femmes.

Les études qui mentionnent les obstacles qui empêchent les femmes d’accéder à des postes de direction citent entre autres raisons les préjugés, la culture défavorable, la non-participation, la conciliation travail-vie personnelle, et la confiance en soi; le nombre peu élevé de dirigeantes universitaires n’est pas causé par un facteur unique. Mais le manque de sensibilisation à la question de la sous-représentation des femmes demeure l’un des principaux enjeux.

Certains diront que nous avons progressé et que ce genre de changement prend du temps. C’est vrai dans une certaine mesure. Pourtant, malgré ce raisonnement, nous devrions être préoccupés par le peu de femmes à la direction de nos universités. Ce qui est encore plus troublant, c’est la réaction de la population devant ces faits.

Au printemps de 2016, deux articles parus dans le Globe and Mail soulignaient le peu de femmes dirigeantes ou titulaires de chaires de recherche dans nos universités. J’ai trouvé fascinant de lire les commentaires en ligne qu’a suscité l’article de la journaliste des questions liées à l’enseignement supérieur, Simona Chiose, paru en avril et intitulé « More female leaders needed at Canadian universities » (Il faut plus de femmes à la direction des universités canadiennes). En tout 25 commentaires ont suivi, tous négatifs à l’égard des femmes. En voici un exemple : « Pourquoi aurions-nous besoin d’un plus grand nombre de femmes dans les universités? Je vous répondrai que les universités sont déjà très bien dirigées, merci beaucoup. À mon avis, on n’a aucun besoin de femmes dirigeantes. » Et on poursuit avec « Trop vrai […] cela fait 50 ans qu’on donne aux femmes des avantages par rapport aux hommes et ça ne suffit pas. » Des commentaires semblables ont aussi été faits à la suite de l’article du 9 mai intitulé « Canadian universities fail to meet diversity hiring targets » (Les universités ne parviennent pas à atteindre leurs objectifs de diversité d’embauche).

J’ai d’abord été consternée. Je ne pouvais m’empêcher de me demander ce qui était arrivé à notre société pour que non seulement les préjugés à l’égard des femmes existent encore, mais qu’ils soient exprimés publiquement, et qu’on ne s’en préoccupe pas. N’est-il pas important que nos filles aient les mêmes chances que nos fils de réussir et de progresser dans leur milieu de travail? Après tout, le Canada n’a-t-il pas été un chef de file en légiférant sur les droits humains pour tous? Comme l’ont mis en lumière les deux articles et comme le démontrent les commentaires négatifs qui ont suivi, il est temps de nous pencher sur nos pratiques, d’examiner notre mentalité collective et de reconnaître que nous avons encore beaucoup de chemin à faire.

Après mon découragement initial, j’ai finalement compris que ces commentaires sont précisément la raison qu’il nous faut pour que cette question demeure d’actualité, car ces commentaires témoignent des préjugés et de l’intolérance encore trop répandus dans notre société, non seulement à l’égard des femmes, mais à l’égard des minorités.

Nous le savons, la situation est la même pour les femmes qui occupent des postes de direction dans les entreprises, les femmes qui siègent à des conseils d’administration et les femmes en politique. Les universités sont le miroir de notre société. Toutefois, elles ne devraient pas se limiter à la refléter, elles devraient initier les changements sociétaux au lieu de maintenir les iniquités. La question doit continuer d’être étudiée et nos pratiques doivent être ajustées afin de favoriser la diversité plutôt que de l’entraver.

Quelle est la solution? Les universités devaient-elles adopter des politiques d’action affirmative? Les administrateurs de haut rang devraient-ils suivre une formation sur les préjugés et la sensibilisation aux questions de genre? Il est important de reconnaître que l’enjeu ne se limite pas aux femmes; il nous touche tous. J’entends souvent dire qu’on ne devrait pas se soucier de l’équité hommes-femmes, mais simplement d’embaucher la personne la mieux qualifiée pour un emploi. Il importe de souligner l’iniquité, parce qu’il y a autant de femmes que d’hommes qualifiés dans le milieu universitaire. Il ne s’agit pas de faire des compromis, mais plutôt d’être sensibilisé à la question.

Ma grand-mère a dû quitter l’école en quatrième année et travailler comme domestique pour soutenir financièrement sa mère. Ma mère et mon père ont travaillé fort pour faire en sorte que leurs six enfants puissent aller à l’université et avoir des chances égales et un niveau de vie décent. Les chances égales, c’est ce pour quoi les générations qui nous ont précédés se sont battues, particulièrement nos mères et nos grand-mères. Il faut leur rendre hommage en dénonçant les inégalités qui ont toujours cours, se faire leur porte-parole, et faire en sorte que nos filles aient les mêmes chances que nos fils.

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