La version originale de cet article d’opinion a paru en anglais dans le Globe and Mail le 27 octobre 2014.
Par Rivka Carmi, rectrice, Université Ben Gourion du Néguev et Martha Crago, vice-rectrice à la recherche, Dalhousie University
L’incertitude économique qui perdure à l’échelle mondiale contribue à stimuler l’intérêt pour l’innovation et la commercialisation de la recherche. C’est tout à fait souhaitable, puisque l’innovation favorise la prospérité. Malheureusement, cela pousse certains à remettre en question la valeur de la recherche fondamentale. Il s’agit cependant d’un faux débat, et c’est ce qu’il faut bien comprendre pour que les contributions des universités puissent se réaliser pleinement.
En fait, il n’y a pas de choix à faire entre la recherche fondamentale, stimulée par la curiosité des chercheurs et leur désir d’explorer l’inconnu, et la recherche appliquée, inspirée par l’utilité et motivée par la nécessité. Les découvertes scientifiques puisent leurs racines dans la recherche fondamentale, et les universités ne peuvent encourager l’innovation sans favoriser l’excellence en recherche fondamentale.
En voici un exemple : dans les années 1970, un chercheur japonais du nom d’Osamu Shimomura s’est intéressé à une espèce de méduse et a découvert la protéine qui la rend bioluminescente. Dix ans plus tard, le biologiste américain Martin Chalfie s’est rendu compte que cette protéine pourrait aider à cartographier la structure cellulaire d’organismes vivants. Par la suite, un autre scientifique, Roger Tsien, a découvert comment fabriquer des molécules multicolores fluorescentes qui ont des applications techniques, comme la cartographie du cerveau humain. Ces travaux – qui se sont appuyés sur plus de 40 années de recherche fondamentale menant à des travaux de recherche appliquée – ont valu aux trois hommes le prix Nobel de chimie en 2008. Cet exemple illustre également que le chemin qui va de la recherche fondamentale à l’innovation est tortueux, et parsemé de réussites et d’échecs.
Affirmer que la recherche fondamentale est essentielle aux découvertes scientifiques est parfaitement compatible avec la promotion de l’innovation de diverses façons. Au Canada comme en Israël, les universités aident les étudiants et les professeurs à mieux comprendre les besoins des secteurs public et privé et appuient leurs efforts visant à concevoir des applications pratiques à partir des résultats de la recherche fondamentale.
La formation des étudiants, qui deviendront la prochaine génération de champions de l’innovation, est un des aspects les plus enthousiasmants de cette collaboration. À la Dalhousie University, par exemple, le programme Starting Lean favorise la pensée entrepreneuriale chez les étudiants au premier cycle dont certains, une fois diplômés, se joignent au programme pancanadien The Next 36, qui vise à faire des meilleurs étudiants au pays les dirigeants d’entreprise et les innovateurs les plus prolifiques de demain.
À l’Université Ben Gourion du Néguev, Israël, la journée annuelle de l’innovation réunit des étudiants en génie qui présentent leurs projets de dernière année, des étudiants en commerce, des dirigeants industriels, des responsables gouvernementaux et des investisseurs privés dans le cadre d’une journée complète d’activités consacrées à l’innovation scientifique, à des présentations de projets technologiques (et sociaux), à des discussions, à des débats et à des réunions d’affaires. Les étudiants sont ainsi exposés au regard critique du monde extérieur au milieu universitaire de même qu’aux possibilités qu’il a à offrir, alors que les représentants de l’industrie ont l’occasion de trouver de nouvelles applications à la recherche universitaire.
Les universités peuvent également favoriser l’innovation en se dotant de bureaux de transfert de la technologie, qui aident les professeurs et les étudiants à mettre en marché les applications de leur recherche, à conclure des partenariats de recherche avec des entreprises locales et internationales et à forger des liens avec des parcs scientifiques et technologiques situés à proximité.
Les pressions exercées sur les budgets universitaires et l’internationalisation croissante de la recherche amènent également les établissements à collaborer entre eux pour atteindre des objectifs de recherche stratégique afin de maximiser leurs ressources. Puisque la Dalhousie University et un groupe d’universités israéliennes, dont Ben Gourion, ont des campus maritimes sur l’océan Atlantique et la mer Rouge respectivement, il était logique qu’elles s’associent pour construire des installations de sciences de la mer de calibre mondial à Eilat, en Israël. Ces installations sont destinées à devenir un centre d’études océanographiques reconnu internationalement qui attirera et formera des spécialistes en sciences de la mer de partout dans le monde et générera des percées scientifiques fondamentales et appliquées en partenariat avec l’industrie.
Avec l’appui de philanthropes et d’industries, les gouvernements canadien et israélien encouragent ces liens en finançant des collaborations qui aident les chercheurs et leurs étudiants à mener des projets de recherche plurisectoriels et multinationaux. Pour comprendre des changements environnementaux, technologiques et sociaux de plus en plus rapides, les pays industrialisés doivent investir ensemble dans la recherche fondamentale et l’enseignement supérieur. Ces investissements permettront de découvrir où se trouvent les nouvelles possibilités en matière d’innovation et de progrès industriels.
Les pays apprennent les uns des autres. Nous sommes ravis de participer au rassemblement de dirigeants universitaires et de spécialistes de l’innovation du Canada, d’Israël et de l’Allemagne qui se tient cette semaine à Ottawa, afin de mettre en commun les réussites et les leçons apprises de divers systèmes d’innovation et d’établissements d’enseignement supérieur. Ce dialogue politique, organisé par l’Association des universités et collèges du Canada, permettra aux participants de découvrir les forces du système d’innovation et de recherche de chaque pays et facilitera la diffusion de pratiques prometteuses en matière de collaboration.
Toutes nos discussions seront, nous l’espérons, guidées par l’idée que les découvertes et les nouvelles applications, qu’elles soient marginales ou révolutionnaires, commencent par l’excellence en recherche fondamentale. Une curiosité à propos des méduses qui mène à de nouveaux outils de cartographie du cerveau humain : voilà le chemin de l’innovation. C’est pour suivre ce chemin que les universités et leurs partenaires du gouvernement, de l’industrie et du milieu communautaire doivent continuer d’appuyer et de valoriser les fondements mêmes de la recherche fondamentale, car c’est en elle que l’innovation puise sa source.