Ce texte d’opinion a été publié dans le Moncton Times & Transcript et le Telegraph Journal le 8 août, 2015.
par Robert Campbell, recteur et vice-chancelier de la Mount Allison University
Près de 10 millions d’adultes canadiens lisent les journaux, et beaucoup d’entre eux commencent par les pages éditoriales et les lettres d’opinion. Pourquoi? Parce qu’il est dans la nature de l’être humain de s’informer ainsi que de prendre connaissance d’opinions différentes, de les analyser et d’en discuter.
Dans son ouvrage intitulé Sapiens: A Brief History of Humankind, Yuval Harari soutient que ce qui nous distingue des autres créatures n’est pas notre aptitude à parler ou à communiquer, mais plutôt notre capacité à discuter. Nous sommes des animaux sociaux. Discuter dans le but de résoudre des problèmes et de coopérer est essentiel à notre survie.
On observe pourtant un scepticisme croissant en ce qui concerne la valeur des études en sciences humaines qui permettent d’acquérir des compétences humaines pour discuter et coopérer avec efficacité. Nous avons bien tort de sous-estimer la valeur des études en sciences humaines.
J’ai récemment visité le Quai 21, à Halifax, transformé en musée de l’immigration canadienne. Le multiculturalisme a joué un rôle déterminant dans l’évolution de notre pays. En tant que Canadiens, en discutant et en collaborant les uns avec les autres, nous découvrons un éventail large et complexe de cultures, de langues et d’attitudes distinctes. Les sciences humaines nous aident à nous comprendre et à évoluer. L’étude de l’histoire et de la littérature, de la sociologie et de l’anthropologie ou encore de la philosophie et de la théologie nous aident collectivement à incarner notre identité et à cerner les défis complexes que nous devons relever ainsi que les possibilités qui s’offrent à nous.
L’étude des sciences humaines nous ouvre des perspectives qui nous aident à comprendre le monde. Comment pourrions-nous pleinement comprendre ce qui se passe aujourd’hui en Grèce, en Syrie, en Chine ou aux États-Unis sans une connaissance de base de l’histoire, de la culture et des attitudes de ces sociétés?
L’université que je dirige se trouve dans l’unique province officiellement bilingue du Canada. Une province qui, en outre, met de plus en plus en valeur son héritage autochtone et accueille un afflux d’immigrants venus du monde entier. La collectivité néo-brunswickoise est très diversifiée. Nos étudiants ont donc besoin d’un large éventail de connaissances et d’outils pour être en mesure de réussir dans le monde complexe d’aujourd’hui et d’en devenir des acteurs. Depuis une dizaine d’années, 10 de nos étudiants sont devenus boursiers Rhodes. Or, tous avaient en commun un solide parcours interdisciplinaire s’appuyant sur des bases en sciences humaines.
Comme beaucoup d’éducateurs et de dirigeants, je suis convaincu que les étudiants de toutes les disciplines doivent connaître les rudiments des sciences humaines. Qu’ils choisissent de devenir ingénieurs pour concevoir des autoroutes, urbanistes pour créer de nouvelles collectivités ou encore concepteurs d’outils pour les médias sociaux, tous nos diplômés doivent être en mesure de comprendre les gens et leurs motivations, le fonctionnement des diverses cultures, ainsi que la manière dont la société et l’économie peuvent coopérer et prospérer.
Les employeurs ne cessent d’affirmer qu’ils recherchent des candidats possédant des compétences en résolution de problèmes, en planification et en communication. Les employeurs souhaitent que les diplômés des universités puissent travailler en équipe et résoudre des problèmes complexes. Ils recherchent des candidats capables de faire part de leurs points de vue et leurs idées, d’en débattre ainsi que de collaborer efficacement à l’élaboration de stratégies et de solutions; des compétences acquises en sciences humaines.
Les données sur l’emploi le confirment : les diplômés en arts libéraux sont très recherchés. Par exemple, des 40 000 Canadiens actuellement titulaires d’un baccalauréat en histoire, 18 pour cent occupent des postes de gestion, tandis que 23 pour cent occupent avec brio des postes dans les domaines du commerce, des finances ou de l’administration. Les diplômés en histoire qui occupent un poste à temps plein gagnent en moyenne plus de 65 000 $ par année, soit autant que les diplômés en sciences biologiques et biomédicales.
Les universités canadiennes créent des programmes interdisciplinaires novateurs destinés à doter les étudiants des disciplines STGM (science, technologie, génie et mathématiques) d’acquérir des compétences en sciences humaines qui leur permettront de mettre leurs connaissances techniques au service de la résolution de problèmes sociaux complexes.
Je suis recteur, mais aussi chercheur, et mes travaux portent sur les systèmes postaux et de communications du monde entier. J’estime que mes réussites et mes réalisations à chacun de ces titres tiennent essentiellement à l’excellente formation en arts libéraux que j’ai suivie à la Trent University. C’est là où j’ai appris à réfléchir, à effectuer de la recherche, à communiquer ainsi qu’à comprendre les systèmes sociaux et économiques, les diverses cultures et le monde dans son ensemble.
Où trouve-t-on les diplômés en arts libéraux sur le marché du travail actuel? Partout, mais tout particulièrement parmi les dirigeants des sphères politique, économique et sociale. Comme l’a révélé une récente étude menée au Royaume-Uni, la majorité des dirigeants de la planète qui ont fait des études supérieures sont titulaires de diplômes en sciences humaines. Leurs compétences en matière de négociation, de résolution de problèmes et de collaboration ont contribué à leur réussite.
Les programmes de sciences humaines forment des diplômés prêts à s’adapter à notre monde en constante évolution, à y prendre part et à contribuer à sa gestion. Les défis sociaux, économiques, environnementaux et éthiques auxquels le monde fait face prennent racine dans la confrontation des identités, des cultures, de l’économie et de la politique. Pour que le Canada puisse se développer et prospérer de manière stable et équitable, il doit pouvoir compter, au sein des entreprises, des collectivités, du secteur technologique et du milieu politique, sur des dirigeants formés aux points de vue interdisciplinaires et issus des sciences humaines.
Selon un rapport du Conseil des académies canadiennes publié plus tôt cette année, pour renforcer l’innovation et la productivité, le Canada a besoin d’une main-d’œuvre forte non seulement de compétences en STGM, mais également de compétences acquises et employées dans le domaine des arts libéraux.
Il ne s’agit pas de privilégier un type de formation par rapport à un autre. Il s’agit simplement de former un plus grand nombre de diplômés possédant des compétences en STGM, mais également en sciences humaines.
Pour former les dirigeants efficaces et les citoyens éclairés essentiels à la réussite de la société canadienne, nous devons veiller à ce que de plus en plus d’étudiants reçoivent une formation en arts libéraux.