Cet article d’opinion a paru dans Policy Magazine le 30 octobre 2020.
Par Paul Davidson, président-directeur général d’Universités Canada
Lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé, une réorganisation sociale et économique soudaine a été nécessaire. Les services essentiels ont été redéfinis en fonction des besoins et de leur viabilité virtuelle. Dans ce nouveau contexte, les universités canadiennes sont devenues, grâce au savoir, à l’information et aux solutions dont elles disposent, un service public essentiel. Les travaux des universitaires ont permis de comprendre la situation, les experts ont mis en lumière les périls et les enjeux, et les chercheurs sont à l’avant-garde de la quête mondiale d’un vaccin.
Lorsque l’impact de la COVID-19 s’est généralisé et que le monde s’est refermé sur lui-même, les universités canadiennes ont tendu la main. Ne reculant devant rien, professeurs, chercheurs et étudiants, à partir d’espaces de travail de fortune, ont renforcé leurs liens avec des ressources et des partenaires de recherche du monde entier. Les universités ont délégué le plus grand problème au monde aux plus brillants cerveaux.
C’est ce qu’elles font. Elles tissent des alliances et des partenariats axés sur des objectifs communs pour trouver des solutions aux enjeux mondiaux. Étant donné leurs relations internationales, les universités ont été parmi les premières à prévoir les effets potentiels de la pandémie.
Dès janvier, bon nombre d’universités canadiennes avaient mis en place des équipes d’intervention.
Les résultats indiquent que le Canada est particulièrement bien placé par rapport à ses pairs. Les universités ont adopté des mesures de sécurité strictes pour prévenir et réduire au minimum les éclosions sur les campus et ont pu recommencer à accueillir des étudiants et des chercheurs étrangers pour les études et le travail. Le milieu de la recherche et de l’enseignement supérieur poursuit ses travaux alors que les éclosions et les tensions politiques bouleversent les activités de l’Australie, des États-Unis et du Royaume-Uni.
À la mi-mars, lorsque nous avons commencé à comprendre l’ampleur et la gravité de la COVID-19, les universités ont fait passer à la formation en ligne 1,4 million d’étudiants en seulement dix jours. Les services de l’administration ont relogé les étudiants des résidences pour freiner la propagation du virus tout en continuant d’héberger ceux qui n’avaient pas d’autres options. Le retour à domicile de certains étudiants a libéré des chambres pour les travailleurs de première ligne qui devaient s’éloigner de leurs parents, de leurs conjoints et de leurs enfants pour les protéger contre la maladie.
Tout a été interrompu sur les campus, sauf les activités absolument essentielles, mais les travaux se sont poursuivis et les efforts se sont intensifiés. Les universités ont participé à des projets interdisciplinaires diversifiés pour orienter les interventions cliniques et la réponse de la santé publique dans le cadre de la stratégie pancanadienne de recherche médicale de 1,1 milliard de dollars du gouvernement fédéral.
La recherche et l’innovation sont les forces des universités canadiennes en temps de crise. Elles constituent un pilier essentiel de la réaction du Canada à la pandémie. Au cœur du réseau de recherche CanCOVID du gouvernement fédéral se trouvent 2 300 membres, soit des chercheurs, des décideurs et des techniciens de première ligne, qui travaillent ensemble pour relever cet immense défi de société. Ce réseau interdisciplinaire illustre parfaitement comment le milieu canadien de la recherche peut étayer une réaction globale, rapide et efficace à une crise publique de longue durée.
Partout au Canada, les équipes de recherche universitaire travaillent d’arrache-pied pour orienter les interventions cliniques et de santé publique, mettre au point et évaluer des vaccins et des outils diagnostics, et lutter contre la désinformation.
Le Centre de recherche en infectiologie de l’Université Laval met actuellement au point des vaccins expérimentaux contre la COVID-19. Le Centre est dirigé par le Dr Gary Kobinger, lauréat d’un Prix du Gouverneur général pour l’innovation en 2018 en raison de sa contribution à la découverte d’un traitement et d’un vaccin contre l’Ebola. Une étude de la University of Saskatchewan pourrait expliquer en partie comment les coronavirus se transmettent aux humains et aux animaux. Des chercheurs de la University of British Columbia, avec leurs partenaires français, tentent de comprendre l’incidence des mesures de santé publique telles que l’éloignement physique sur la vie sociale et la santé mentale à long terme des moins de 30 ans. Ces résultats pourraient contribuer à l’élaboration de politiques et de programmes susceptibles d’améliorer la vie des jeunes dans ces deux pays.
Les universités canadiennes sont aussi conscientes de leurs responsabilités et de leurs engagements dans les collectivités où elles exercent leurs activités. La University of New Brunswick a lancé Catalyst, un programme qui permet aux entreprises locales de soumettre des projets qui favoriseront la reprise après la pandémie, et auxquels peuvent participer les étudiants, les professeurs et les chercheurs de l’Université. En Ontario, la Smith School of Business de la Queen’s University s’est associée à la ville de Kingston pour créer un réseau de soutien qui aide les entreprises locales, sociales et à but non lucratif à s’adapter au nouvel environnement économique.
Dans les premiers jours de la pandémie, les chercheurs dont les laboratoires fermaient ont donné des fournitures médicales et de l’équipement de protection individuelle. La Trent University, par exemple, a fait don de plusieurs milliers de paires de gants, de combinaisons, de couvre-chaussures, de masques chirurgicaux et N-95 et de blouses au Centre de santé régional de Peterborough. Les scientifiques de la University of Manitoba ont fait de même en offrant des fournitures indispensables à l’Office régional de la santé de Winnipeg.
Pendant tout ce temps, l’engagement des universités à offrir une formation de qualité supérieure à tous les apprenants n’a jamais fléchi. Les membres du personnel et du corps professoral ont fait preuve d’une capacité d’adaptation extraordinaire en cette période de crise de santé publique alors que la partie la plus humaine et naturelle de leur travail — l’enseignement et les interactions en personne — est soudainement devenue l’exception. En quelques mois seulement, nous avons constaté des avancées et des changements phénoménaux dans l’enseignement en ligne et à distance. Ces changements s’amorçaient déjà discrètement dans les établissements, mais ils se sont accélérés dans le contexte de la pandémie. Les professeurs ont dû composer avec divers fuseaux horaires, des connexions Wi-Fi parfois limitées et des problèmes croissants de santé mentale chez les étudiants, qui forment maintenant des communautés d’apprentissage réparties partout au pays et dans le monde.
Ils ont trouvé des façons de créer des expériences enrichissantes depuis leur domicile. Par exemple, la Faculté de génie de la McMaster University a collaboré avec Quanser, une entreprise d’innovation en éducation, pour concevoir un logiciel capable d’offrir des expériences de laboratoire interactives aux étudiants grâce à des plateformes de jeu et de réalité virtuelle. Les étudiants de génie de première année peuvent maintenant acquérir des compétences techniques dans des laboratoires virtuels. Ces plateformes permettent aux étudiants de collaborer à relever des défis dans des domaines comme la conception de véhicules autonomes.
Sur les campus, les services de santé mentale et d’orientation sont également passés en ligne. Les premiers signes de cette transition numérique sont prometteurs et se démarquent des expériences vécues ailleurs. Il sera important de continuer à aider les étudiants et à évaluer la qualité de leur expérience pour garantir la réussite de la prochaine génération. Il est clair que nous devrons encore vivre avec la pandémie pendant quelque temps, et les universités continueront de prioriser la santé et la sécurité des étudiants, du personnel et des professeurs.
Dans un marché du travail qui exige que même les nouveaux diplômés possèdent des compétences pratiques, les universités collaborent avec des partenaires pour offrir des possibilités novatrices. La Faculté d’administration de l’Athabasca University offre maintenant une expérience virtuelle d’apprentissage intégré au travail propulsée par l’intelligence artificielle, qui lui permet d’exposer les apprenants à des projets d’affaires pratiques dans un environnement virtuel.
On ne peut pas pour autant prétendre que la situation est normale. Elle ne l’est pour personne. Notre système est solide, mais la résilience des personnes, des établissements et des collectivités est en jeu.
Avant la COVID-19, l’écosystème d’innovation du Canada était confronté à des enjeux majeurs. Il connaissait de bons résultats en recherche et en éducation, mais accusait du retard dans les domaines connexes de la R-D industrielle, de l’innovation et du développement économique. Au Canada, surtout dans le secteur privé, nous n’exploitons pas le savoir universitaire à sa pleine capacité. En cette période où le pays doit mobiliser toutes ses ressources en vue de la reprise, nous ne pouvons pas nous permettre de tabletter les idées novatrices et la propriété intellectuelle des universités. Pour éviter cette situation, nous pouvons soit introduire de nouveaux mécanismes et réseaux ou encore adopter des méthodes existantes éprouvées.
Par exemple, nous pourrions élargir le projet Lab2Market offert par les universités Dalhousie, Memorial et Ryerson. Les fonds et les mentors de l’industrie aident les chercheurs à commercialiser leur technologie. Une nouvelle gamme de projets axés sur les besoins pressants en santé fournit aux chercheurs les outils et le savoir-faire nécessaires pour commercialiser plus rapidement qu’auparavant des vaccins, des traitements, des appareils ainsi que des outils diagnostiques et de soins numériques et virtuels. Lab2Market est appuyé par un ensemble de bailleurs de fonds de partout au pays, et pourrait être adopté à l’échelle nationale avec beaucoup de succès.
Nous pourrions aussi créer de nouveaux centres d’innovation universitaires pour reconnaître le rôle important des universités comme piliers de leurs collectivités, particulièrement dans les petites collectivités rurales. De tels centres pourraient accélérer les avancées technologiques et ainsi promouvoir la croissance des petites et moyennes entreprises des régions environnantes.
Nous savons que l’investissement dans l’innovation universitaire favorise la prospérité du pays. Prenons les travaux de James Till et d’Ernest McCulloch, chercheurs de la University of Toronto, qui ont démontré dans les années 1960 l’existence des cellules souches. D’autres investissements majeurs en médecine régénérative réalisés par la suite ont permis à l’industrie biomédicale de Toronto, qui connaissait une croissance rapide, d’attirer les entreprises et le talent étranger, en grande partie grâce aux investissements soutenus dans les fondations de recherche dans ce secteur.
Nous constatons aujourd’hui à quel point les investissements dans les travaux de recherche sur les cellules souches ont stimulé l’innovation et l’emploi au Canada. Des avancées similaires en génomique, en intelligence artificielle et en apprentissage automatique sont le fruit de la recherche axée sur la découverte. La durée des cycles de la découverte à l’adoption passe à des vitesses auxquelles MM. Till et McCulloch ne pouvaient que rêver.
La pandémie a montré clairement que les investissements dans la recherche et l’innovation sont importants : les recherches médicales permettront de trouver un vaccin, les recherches en sciences sociales auront une incidence sur le comportement humain, et l’histoire et l’économie enseigneront les leçons du passé et traceront la voie de l’avenir. Nous ne savons pas ce que la recherche axée sur la découverte d’aujourd’hui réserve aux enjeux de demain.
Le Canada ne peut pas se permettre de laisser la COVID-19 perturber la recherche et l’enseignement supérieur. Nous avons besoin des diplômés de 2021 et des années subséquentes pour relever les défis qui subsisteront bien après la pandémie : les changements climatiques, les inégalités et les nombreux problèmes futurs que nous n’imaginons même pas aujourd’hui.
Le travail doit être fait. Les nouveaux innovateurs doivent avoir l’occasion d’apprendre avec les meilleurs. Nous aurons besoin d’eux lorsque le monde rouvrira ses portes, afin que le Canada sorte de la crise plus fort que jamais.