Article publié en anglais sur le forum Rethinking Higher Ed Forum d’Academica Group le 15 avril 2015.
Par Andrew Parkin, ancien directeur général, Conseil des ministres de l’Éducation (Canada)
Incitons-nous trop de jeunes à aller à l’université?
Dans un article qu’il a publié récemment, Ken Coates soutient que l’importance accordée au fait d’aller à l’université et la tendance à négliger les formations plus pratiques offertes par les collèges et les instituts polytechniques induisent en erreur un trop grand nombre de jeunes Canadiens. L’article, publié à la fin de mars par le Conseil canadien des chefs d’entreprise (CCCE) dans le cadre de son initiative Agir pour le Canada : emplois et compétences pour le XXIe siècle, a fait la manchette, car il plaide pour une réduction de 25 à 30 pour cent du nombre de places à l’université afin de produire un plus grand nombre de diplômés des collèges prêts pour le marché du travail.
Il n’y a rien de mal à attirer l’attention sur le milieu collégial et sa capacité à adapter ses programmes d’études aux possibilités d’emploi. Là où le bât blesse, c’est lorsque l’auteur affirme que pour augmenter le nombre de diplômés des collèges et ainsi contrer les pénuries anticipées de main-d’œuvre, il faut réduire le nombre de diplômés des universités. Si l’objectif est de faire en sorte que l’éducation réponde mieux aux besoins du marché du travail, nous ne pouvons nous contenter d’un transfert à somme nulle entre les milieux collégial et universitaire.
D’abord, il importe de souligner que le Canada se démarque déjà sur la scène internationale par la force exceptionnelle de son secteur collégial. Si on le compare aux normes internationales, son secteur universitaire ne fait cependant pas aussi bonne figure.
Le Canada se classe au troisième rang des pays membres de l’OCDE pour la proportion de jeunes adultes (ceux de 25 à 34 ans) qui possèdent un diplôme d’études postsecondaires (de niveau collégial ou universitaire). Cette position respectable est cependant attribuable au fait que le Canada présente une proportion très élevée de jeunes adultes titulaires d’un diplôme d’études collégiales, soit 25 pour cent. Cela lui vaut la seconde place parmi les pays membres de l’OCDE, devancé seulement par la Corée.
Par contre, le Canada glisse au 17e rang en ce qui a trait à la proportion de jeunes adultes titulaires d’un grade universitaire (32 pour cent). Il est vrai que les jeunes adultes canadiens titulaires d’un grade universitaire sont plus nombreux que les titulaires d’un diplôme collégial. Il est vrai également qu’aucun autre pays membre de l’OCDE n’affiche un écart aussi mince entre la taille relative des deux groupes de diplômés.
Ces chiffres ne signifient pas que le Canada ne profiterait pas de la présence d’un plus grand nombre de diplômés de niveau collégial. Ils montrent simplement que le Canada n’a rien d’un pays qui a trop fortement mis l’accent sur la formation universitaire au détriment de la formation collégiale.
Heureusement, il existe une façon plus sensée d’accroître les effectifs du secteur collégial que de réduire le nombre de places offertes à l’université : aller chercher le jeune Canadien sur trois qui se trouve actuellement sur le marché du travail sans posséder de formation postsecondaire sous quelque forme que ce soit.
S’il existe un groupe de Canadiens dont la taille est « trop importante » au sein de l’économie actuelle axée sur le savoir, c’est bien celui formé des 32 pour cent de jeunes adultes qui n’ont pas terminé leur secondaire ou qui n’ont pas suivi de formation officielle après l’obtention de leur diplôme d’études secondaires. Ce sont eux dont les compétences sont les moins susceptibles de répondre aux besoins des employeurs et qui risquent le plus de se retrouver au chômage ou en situation de sous-emploi.
Cette réalité n’a jamais été aussi évidente que lors de la plus récente récession. Les taux de chômage ont atteint des sommets à la fin des années 2000, mais la précarité du marché du travail n’a pas touché les titulaires d’un diplôme d’études postsecondaires de la même manière que les autres.
Chez les 25 à 54 ans, les emplois destinés aux titulaires d’un diplôme d’études secondaires seulement ont reculé de plus de trois pour cent entre 2008 et 2010, tandis que les emplois destinés aux titulaires d’un certificat d’une école de métiers ou d’un diplôme collégial ont subi un recul inférieur à un pour cent. Le nombre d’emplois destinés aux titulaires d’un grade universitaire a quant à lui augmenté de cinq pour cent, ce qui représente un gain net de plus de 160 000 emplois. En fait, des emplois ont été créés à l’intention des diplômés des universités de ce groupe d’âge chaque année pendant et après la récession, y compris lors des années où le taux de chômage global a augmenté.
De même, le taux de chômage chez les 25 à 54 ans qui n’ont ni diplôme collégial ni grade universitaire a bondi de trois pour cent pendant la récession, passant de 5,3 à 8,3 pour cent. À titre comparatif, le taux de chômage chez les diplômés des collèges n’a augmenté que de 2,1 points, et celui des diplômés des universités, de 1,8 pour cent (de 3,5 à 5,3 pour cent).
La situation du Canada ressemble à celle de la plupart des pays industrialisés. Comme l’a souligné l’OCDE dans une étude récente consacrée à la situation des jeunes au lendemain de la crise économique, le fardeau du rajustement économique pèse de façon disproportionnée sur les jeunes faiblement scolarisés. On peut ainsi s’attendre à ce que cette situation se reproduise avec les rajustements en cours dans les régions productrices de pétrole du Canada alors que l’industrie pétrolière s’adapte à la nouvelle réalité du marché.
Si nous voulons véritablement faire en sorte que l’éducation réponde mieux aux besoins du marché du travail et que les établissements d’enseignement produisent des diplômés prêts pour le marché du travail dans une économie toujours plus exigeante, ne nous méprenons pas : le problème n’est pas que nous insistons trop sur la formation universitaire, mais bien que nous n’insistons pas suffisamment sur l’importance d’aller chercher une formation postsecondaire, quelle qu’elle soit. C’est ce type de conseil que les élèves qui planifient leur avenir doivent entendre.
Cela nous amène à l’affirmation la plus erronée de M. Coates, c’est-à-dire que nous ne rendons pas service à un trop grand nombre de jeunes Canadiens en les encourageant à se fixer des objectifs trop élevés. Selon M. Coates, les universités se retrouvent ainsi à gérer des classes remplies d’étudiants au « talent limité » qui « n’ont pas leur place » à l’université.
Bien entendu, un des moyens à la disposition des universités pour réagir à la hausse du nombre d’étudiants aux parcours variés est de se montrer plus sélectives. Fort heureusement, la plupart savent qu’il existe des moyens beaucoup plus efficaces, comme créer de nouveaux programmes et services et remettre l’accent sur la qualité de l’enseignement afin de répondre aux besoins de ces étudiants – et des employeurs qui les embaucheront.
En ce XXIe siècle, pas une institution ni une entreprise n’a échappé à la nécessité de s’adapter et d’innover pour demeurer pertinente et concurrentielle. Difficile de comprendre pourquoi M. Coates, contrairement à nombre de ses pairs, croit que le milieu universitaire devrait faire exception à la règle.