L’éducation internationale : une porte ouverte sur le monde

06 février 2017
Canadian students and their Indian colleagues listen to a speaker in the countryside in India.

Cet article d’opinion a paru le magazine Options politiques le 6 février 2017

par Bessma Momani, professeure, département de science politique, University of Waterloo et Balsillie School of International Affairs, et Jillian Stirk, ancienne ambassadrice du Canada et cadre supérieur de la fonction publique. Mme Momani a pris la parole à l’occasion de Carrefour 2017, organisé par Universités Canada.

Les chefs d’entreprise, les universités et les gouvernements sont tous en quête des connaissances et des compétences qu’apporte une expérience internationale, un bagage que l’on qualifie parfois de maîtrise interculturelle.

Les entreprises souhaitent que leur personnel puisse communiquer, tisser des liens et négocier sur le marché mondial, et le comprendre. Les gouvernements sont conscients que pratiquement chaque dossier, que l’on parle de santé, de changements climatiques ou d’innovation, recèle une dimension internationale. Les universités comptent sur leurs relations internationales pour effectuer de la recherche qui permette au Canada de jouer un rôle de premier plan dans des domaines comme la médecine, les mathématiques ou l’immigration. Par conséquent, elles doivent offrir à la prochaine génération les moyens qui lui permettront de passer sans problème d’un pays à un autre et de s’adapter à différentes cultures, mœurs et façons de travailler.

Dans le cadre du Projet Pluralisme, financé par la Fondation Pierre-Elliott Trudeau, nous étudions le lien entre diversité, inclusion et prospérité économique. Nous avons rencontré en 2016 plus de 100 chefs d’entreprise de partout au Canada afin de connaître leur avis sur l’apport de la diversité dans leurs entreprises. Un très grand nombre d’entre eux ont affirmé attacher une grande importance à la maîtrise interculturelle. Les entreprises tiennent à embaucher les meilleurs éléments, ce qui, dans bien des cas, signifie des personnes capables de travailler avec autant d’aisance à Shanghai, Singapour ou à San Francisco qu’à Toronto, Montréal ou Vancouver.

Dans le cadre d’une enquête réalisée en 2014 par Universités Canada, 82 pour cent des entreprises ayant à leur service des employés qui possèdent une expérience internationale et interculturelle ont affirmé que ces derniers contribuaient à leur compétitivité. Des banques, des entreprises manufacturières, des cabinets juridiques et des entreprises du secteur des ressources nous ont indiqué que leurs employés les plus performants possédaient souvent une vision internationale. Certaines entreprises font de l’expérience internationale une condition à l’obtention de promotion; d’autres font bénéficier leurs employés les plus performants d’un avancement accéléré, qui comprend une affectation à l’étranger. Or, les établissements et les décideurs canadiens font-ils le nécessaire pour que la prochaine génération possède l’expérience internationale et les compétences interculturelles dont elle aura besoin pour réussir à l’ère de la mondialisation?

Même si 97 pour cent des universités canadiennes offrent de programmes internationaux, elles réussissent davantage à attirer des étudiants étrangers qu’à permettre aux étudiants canadiens d’aller à l’étranger. Il est certes important d’attirer chez nous les étudiants étrangers, mais les étudiants canadiens qui ne vivent pas d’expérience à l’étranger ratent une belle occasion. Selon Universités Canada, en 2012-2013, seuls 3 pour cent des étudiants au premier cycle ont bénéficié d’une expérience à l’étranger. À ce rythme, au cours des prochaines années, seuls 10 à 12 pour cent d’entre eux auront la chance de se rendre à l’étranger pendant leurs études.

Bien sûr, certains se rendent à l’étranger pour y faire des études supérieures, travailler ou simplement voyager, mais les programmes de travail-études qui permettent aux jeunes Canadiens d’obtenir des permis de travail dans près de 30 pays restent largement sous-exploités. Même si l’obtention de tels permis ne prend habituellement que quelques jours, les quotas relatifs au nombre de Canadiens susceptibles d’étudier et de travailler à l’étranger sont loin d’être atteints. En réalité, les étudiants hésitent à saisir les occasions d’études ou de travail à l’étranger qui apporteraient pourtant une précieuse expérience internationale.

Qu’est-ce qui empêche donc les étudiants de participer à de tels programmes? Les étudiants interrogés évoquent entre autres le coût des séjours à l’étranger, particulièrement dissuasif à l’heure où l’endettement des étudiants continue d’augmenter. Pourtant, dans certains pays, les frais de scolarité sont moindres qu’au Canada ou même inexistants. L’occupation d’emplois à temps partiel peut aider les étudiants à acquitter leurs dépenses tout en leur faisant profiter d’une réelle immersion culturelle. Certains étudiants disent craindre que les crédits acquis à l’étranger ne soient pas reconnus au Canada, aussi bien par les universités que par les entreprises. Quoi qu’il en soit, les étudiants qui se sont rendus à l’étranger dans le cadre de leurs études affirment que cela a changé leur vie. « C’est une chose de lire un manuel, mais c’en est une autre totalement différente de s’immerger dans une autre culture et de vivre sur place les enjeux abordés en classe », nous a confié un étudiant.

Même si nombre des chefs d’entreprise que nous avons rencontrés se disent en quête de maîtrise interculturelle, ils admettent qu’ils ne tiennent pas toujours compte de cette compétence lors de l’embauche. Trop d’entreprises conservent une attitude ambivalente vis-à-vis de l’expérience à l’étranger; elles ne savent pas trop comment interpréter ou évaluer les diplômes, les crédits universitaires ou les systèmes de notation étrangers. Même si l’Ivy League ou les prestigieux établissements du Royaume-Uni peuvent être familiers aux services des ressources humaines, ces derniers ignorent peut-être, par exemple, que l’Université Tsinghua, en Chine, est la Harvard de l’Asie orientale et que ses diplômés peuvent être embauchés sans risque. L’incertitude à propos de la valeur des études et des expériences à l’étranger existe aussi au sein des universités. Trop souvent, les diplômés ou les comités d’embauche se perdent dans des évaluations complexes de la valeur des diplômes étrangers par rapport aux diplômes canadiens. Dans bien des cas, la solution de facilité qui consiste à sous-estimer la valeur de l’expérience ou des crédits acquis à l’étranger renforce la crainte du risque en matière d’embauche et conduit à un manque de vision internationale ou de compréhension en classe.

De jeunes Canadiens très instruits qui vivent et travaillent à l’étranger nous ont par ailleurs avoué combien il est difficile de rentrer au Canada. Même s’ils estiment que leur formation canadienne leur a été très utile et que leurs employeurs ont apprécié leur démarche canadienne en matière de résolution des problèmes et de collaboration, ils craignent que leur expérience acquise à l’étranger ne soit pas reconnue à sa juste valeur au retour au pays. Ils aimeraient rentrer au Canada, avant tout pour la qualité de vie, mais craignent de ne pouvoir obtenir un travail à la hauteur de leur expérience.

Les Canadiens sont fiers de leurs célébrités internationales (comme Mark Carney, Louise Arbour et Malcolm Gladwell), mais ils ont une fâcheuse tendance à sous-estimer leurs compatriotes qui quittent le pays… jusqu’à ce qu’ils deviennent célèbres. Nous devons déterminer plus nettement qui sont les membres de la diaspora canadienne, où ils vivent, et comment nous pouvons préserver leur attachement au Canada. Il nous faut pour cela nous doter de politiques et d’ententes plus souples en matière de citoyenneté pour favoriser la mobilité professionnelle. Nous devons également nous pencher sur les programmes d’échanges universitaires comme le très fructueux programme Erasmus de l’Union européenne, qui impose à la plupart des étudiants de niveau postsecondaire d’effectuer au moins une partie de leurs études dans un pays étranger. Selon les statistiques de la Commission européenne de 2014, les diplômés Erasmus présentent un taux de chômage inférieur de 23 pour cent à celui des étudiants qui n’ont pas effectué d’études à l’étranger. Pourquoi n’est-ce pas le cas des Canadiens qui étudient à l’étranger?

Le temps est venu de voir l’expérience internationale comme un atout, et non comme une menace, d’encourager les Canadiens ouverts sur le monde à maintenir leurs liens avec le Canada, et de permettre à la nouvelle génération de découvrir le monde pour acquérir de nouvelles compétences et la maîtrise interculturelle qui servent si bien à notre pays dans ce monde de plus en plus complexe.

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Bessma Momani est professeure au département de science politique à la University of Waterloo et à la Balsillie School of International Affairs. Elle est agrégée supérieure de recherche au Centre for International Governance Innovation, lauréate 2015 de la fondation Pierre Elliott Trudeau et boursière Fulbright. Elle a pris la parole à l’occasion de Carrefour 2017, organisé par Universités Canada.

Jillian Stirk, ancienne ambassadrice du Canada et cadre supérieure de la fonction publique, a occupé les fonctions de principale agente de politique étrangère et de sous-ministre adjointe de la politique stratégique, des questions mondiales et des affaires européennes au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Elle est mentor à la fondation Pierre Elliott Trudeau et membre associée du Centre for Dialogue de la Simon Fraser University.

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