Cet article d’opinion a été publié sur le site Web de CBC Manitoba le 30 mai 2016
Par David Barnard, président sortant, Universités Canada et recteur, University of Manitoba
Mes enfants aiment me taquiner en disant que je suis entré à l’université à 18 ans et que je m’y suis tellement plu que je n’en suis jamais ressorti. Bien sûr, ils n’ont pas tort : j’ai presque 65 ans et j’y suis toujours, même si mon université actuelle est très loin de celle où tout a commencé et que je n’y suis plus étudiant, mais recteur.
Malgré tout, mes plus grandes sources de motivation sont encore mon amour pour ce milieu et le sentiment d’accomplissement qu’il me procure.
De toute évidence, les universités ont un je ne sais quoi qui m’attire. Non seulement j’y ai passé la majeure partie de ma carrière, mais j’ai continué à y étudier au fil de mes interrogations et des élans de mon cœur, en quête d’un savoir approfondi dans des domaines aussi variés que l’informatique, la théologie et le droit.
Toute ma vie, j’ai grandement bénéficié de mon lien avec le milieu universitaire.
Je n’aime donc pas que la valeur d’une formation universitaire soit diminuée ou, comme c’est parfois le cas dans le discours public, dénigrée. Même si elle ne convient pas à tout le monde, l’université peut améliorer la vie professionnelle, personnelle, civique et sociale de tous ceux qui s’ouvrent à son savoir et à ses charmes.
Lors de mon parcours universitaire, j’ai parlé ou serré la main à des dizaines de milliers de diplômés lors des cérémonies de remise de diplômes tenues dans différentes provinces. Je m’adresserai à près de 3 000 autres d’entre eux cette semaine. Non seulement je les féliciterai pour leur importante réalisation, mais je leur souhaiterai aussi la meilleure des chances pour l’avenir, sans l’ombre d’un doute ou d’une hésitation. Peu importe le domaine qu’ils ont choisi, je sais que le temps qu’ils ont passé en classe ou en laboratoire, leurs activités parascolaires et leurs occasions d’apprentissage par le service, par l’expérience ou à l’étranger leur auront fait découvrir de nouvelles possibilités et les auront préparés à la réussite.
Comme tout le monde, j’ai entendu ces histoires de baristas bardés de diplômes universitaires, mais incapables de trouver un poste directement lié à leur domaine d’études. Je ne dirai pas qu’il s’agit d’idées reçues, car je sais très bien que, chaque jour, une foule de diplômés universitaires préparent des espressos, font du service aux tables et accomplissent une de ces nombreuses tâches qui ne nécessitent normalement pas d’éducation supérieure. Je crois toutefois que la façon dont nous racontons ces histoires peut être trompeuse et que notre incapacité à les remettre en question est finalement préjudiciable, car ces récits ne reflètent pas vraiment la valeur des diplômes universitaires.
La réalité dépeinte par les données de Statistique Canada est en fait toute autre. Les gains cumulatifs des diplômés de niveau postsecondaire sur 20 ans, tant chez les hommes que chez les femmes, toutes disciplines confondues, excèdent les revenus des non-diplômés. En outre, dans la nouvelle « économie du savoir », davantage d’emplois sont créés pour les diplômés des universités que pour l’ensemble de ceux des collèges et des écoles de métiers,soit plus d’un million d’emplois entre 2008 et 2015 selon l’Enquête sur la population active de Statistique Canada, .
Ainsi, le barista formé à l’université finira probablement par trouver un bon emploi et par avoir des revenus nettement plus élevés à long terme. Et, à vrai dire, je n’oserai jamais dévaloriser la profession de barista comme le fait le discours ambiant : nombreux sont ceux qui semblent adorer leur travail et, grâce à leur diplôme universitaire, certains en ont même fait un commerce lucratif.
Au-delà de la compétitivité économique, les diplômés universitaires que je rencontre lors de collations des grades ont reçu le nécessaire pour mener une vie heureuse et enrichissante. Si nous avons bien fait notre travail d’éducateurs, nous leur avons appris à développer leur esprit critique et analytique, à percevoir une situation dans son ensemble et à continuer à apprendre. Ils sont curieux et ouverts d’esprit. Leur vie n’en sera que meilleure, tout comme notre société, car leur réflexion stimulera l’innovation et la création de stratégies de réconciliation, en plus de nous aider à comprendre et à accepter le changement.
Je peux faire de telles affirmations en toute confiance, car j’ai souvent la chance de revoir des diplômés des années après la fin de leurs études. Ils viennent me voir lors de réunions d’anciens et de conférences ou même, vous l’avez deviné, au café local. Année après année, ils me disent tous, sans exception, à quel point leur formation universitaire leur a été utile. Ils ne font pas toujours ce qu’ils avaient prévu au départ, mais les compétences qu’ils ont acquises à l’université les ont aidés à trouver leur voie vers la réussite professionnelle. Certains font exactement ce pour quoi ils ont été formés et transmettent à présent leur savoir à ceux qui souhaitent exercer la même profession, tandis que d’autres suivent de nouveaux cours pour mettre leurs connaissances à jour. Parfois, leurs enfants suivent leurs traces ou ont un parcours diamétralement opposé.
Je n’ai encore jamais rencontré de diplômé affirmant que son passage à l’université avait été une perte de temps. Si cela m’arrivait, je saurais que nous avons laissé tomber cette personne, car la mission de l’université est de développer le potentiel de ses étudiants et non de le gaspiller.
Comme je le rappelle aux groupes de diplômés à qui je m’adresse lors des collations des grades, j’espère que leurs années à l’université n’auront pas, en fait, été « les plus belles de leur vie ». J’aimerais tellement mieux que, grâce aux compétences et aux connaissances acquises pendant leurs études, leurs meilleurs moments soient encore à venir.
Bien sûr, je ne peux pas en dire autant, car j’ai passé les meilleures années de ma vie ici même, à l’université… mais seulement parce que je n’en suis jamais vraiment parti!