Cet article d’opinion a paru dans le Globe and Mail le 7 août 2017
par Paul Armstrong et Carol Herbert
Paul Armstrong est professeur à la University of Alberta, directeur fondateur du Canadian VIGOUR Centre et ancien président et fondateur de l’Académie canadienne des sciences de la santé. Carol Herbert est professeure émérite à l’école de médecine et de dentisterie Schulich de la Western University, professeure auxiliaire à l’école de santé publique et des populations de la University of British Columbia et présidente de l’Académie canadienne des sciences de la santé.
Le 150e anniversaire de la Confédération étant maintenant derrière nous, le moment est venu de penser à l’avenir. D’après les discours des ministres, le gouvernement souhaite que le pays se taille une place dans l’« économie axée sur l’innovation ». Très bien, mais comment y parvenir?
Le gouvernement fournit lui-même une partie de la réponse : investir dans la recherche.
Comme beaucoup, nous avons accueilli avec satisfaction le rapport final publié en avril sur l’examen du financement fédéral de la recherche fondamentale, commandé par la ministre fédérale des Sciences il y a plus d’un an. Le rapport établit clairement que le Canada a perdu de son prestige international dans le domaine de la recherche au cours de la dernière décennie. La production de publications de recherche du Canada a diminué comparativement à celle d’autres pays, passant de la septième à la neuvième place entre 2000 et 2014. En ce qui concerne le taux de croissance des publications, le Canada se classe au 15e rang seulement, ce qui démontre son retard par rapport à ses pairs.
Selon le calcul du nombre de publications par habitant, il est devancé par des pays plus petits, comme les Pays-Bas, l’Australie, la Suède et la Suisse.
Comment nous sommes-nous retrouvés là?
Parmi les principales explications avancées figure la « politisation de la recherche », phénomène par lequel la recherche jugée prioritaire reçoit un financement plus élevé que la recherche dirigée par les chercheurs indépendants. Le rapport indique également que l’écosystème de recherche fédéral canadien manque de structure et de cohésion en matière de supervision et d’évaluation. Par ailleurs, les subventions aux chercheurs exceptionnels en début de carrière ont stagné depuis 17 ans.
Selon les estimations, les ressources réelles par chercheur ont baissé d’environ 35 pour cent au cours des quatre dernières années.
Après la publication du rapport, l’Académie canadienne des sciences de la santé (ACSS) a mené un sondage auprès de ses membres, dont l’expertise diversifiée couvre notamment les sciences biomédicales et cliniques fondamentales, les sciences sociales et les sciences de la santé des populations. Cet exercice a révélé que les membres appuient fortement les conclusions du rapport et favorisent particulièrement la hausse du soutien aux jeunes chercheurs en formation et en début de carrière.
Les membres de l’ACSS ont aussi souligné la nécessité d’instaurer un mécanisme de surveillance rigoureux et d’améliorer le système d’examen par les pairs pour l’attribution du financement. De plus, ils souhaitent qu’une plus grande attention soit portée à l’équité et à la diversité parmi les bénéficiaires des fonds.
Enfin, pour une très grande partie d’entre eux, les investissements dans la recherche doivent être accrus. Les membres ont été nombreux à saluer la recommandation visant l’augmentation de 485 millions de dollars sur quatre ans du financement de la recherche (une hausse d’environ 30 pour cent).
Que faire maintenant? Comment créer au Canada un environnement solide favorisant la recherche fondamentale, qui stimulerait une économie fondée sur le savoir et propice à l’innovation?
Premièrement, il faut une coordination, un équilibre et une harmonisation entre les quatre organismes subventionnaires actuels : les Instituts de recherche en santé du Canada, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, le Conseil de recherches en sciences humaines et la Fondation canadienne pour l’innovation. À cette fin, la création d’un conseil consultatif ainsi que la nomination d’un conseiller scientifique en chef permettraient d’assurer la cohérence et la transparence des normes de gouvernance, et de renforcer la collaboration entre les organismes de différentes disciplines scientifiques. Une telle formule produirait des résultats positifs, à savoir une démarche commune à l’égard des pratiques exemplaires d’évaluation par les pairs et une stratégie optimale pour tenir compte des besoins et du perfectionnement des chercheurs à divers stades de leur carrière.
Deuxièmement, pour assurer la réussite à long terme, il est essentiel de rétablir une répartition des fonds selon un rapport de 70:30 au profit de la recherche menée par des chercheurs indépendants. La nature fortuite des résultats des travaux et les longues périodes qui s’écoulent entre les découvertes et leur application en santé humaine sont des caractéristiques inhérentes et bien documentées.
Enfin, les membres de la communauté scientifique avancent en âge. Comme le signale le rapport, le soutien aux jeunes chercheurs en formation ou en début de carrière doit être une priorité; occuper une place centrale dans le plan du gouvernement. Le recrutement des esprits les plus brillants et la poursuite de projets de collaboration à l’étranger constituent des moyens d’enrichir le milieu de la recherche canadien.
Il est également crucial, étant donné le contexte mondial, de bâtir un environnement qui attire les étudiants étrangers et dans lequel les scientifiques, tant débutants que chevronnés, peuvent s’épanouir. Nous devons par ailleurs resserrer les liens et intensifier la collaboration à l’échelle internationale, puisque la science transcende les frontières.
Bref, le gouvernement voit juste dans son rapport. Toutefois, nous devons agir dès maintenant pour que les recommandations mènent au résultat escompté au Canada : diriger le pays vers une économie de l’avenir axée sur l’innovation. Pour cela, l’augmentation structurée du financement sur quatre ans doit impérativement commencer en 2018. Par la suite, la mise en place de l’outil d’évaluation de l’ACSS, qui facilite la reddition de comptes auprès des bailleurs de fonds de la recherche en santé, permettrait de vérifier le rendement des investissements dans la recherche.
Le gouvernement détient toutes les clés d’une stratégie pertinente et doit passer à l’action sans tarder.
Les recommandations judicieuses du rapport peuvent amener le Canada à devenir plus concurrentiel à l’échelle mondiale et améliorer considérablement la santé, la prospérité et le bien-être des générations actuelles et futures au pays. Alors qu’attendons-nous?
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