Cet article d’opinion a paru sur le site Web d’iPolitics le 21 août 2017
par James Woodgett, professeur de biophysique médicale, University of Toronto et directeur de recherche, Institut de recherche Lunenfeld-Tanenbaum et Jeremy Kerr, professeur de biologie, Université d’Ottawa
À un moment donné au cours de la dernière décennie, le milieu scientifique canadien a commencé à comprendre que le financement public dont il avait profité par le passé n’était plus garanti.
Au cours de la période de croissance économique exceptionnelle qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, les chercheurs bénéficiaient d’un important soutien financier. La société connaissait la valeur de la production du savoir et, en période d’expansion économique soutenue, elle était prête à financer la recherche afin que les découvertes persistent. Les résultats ont été concluants : le milieu canadien de la recherche a fait des progrès transformateurs qui vont de la découverte de la manière dont la pollution nuit à la qualité de l’eau jusqu’à celle d’un vaccin contre le virus Ebola.
Toutefois, même si les avantages que procurent les découvertes sont évidents pour les chercheurs, cela ne va pas de soi pour l’ensemble de la population, et les chercheurs sont en grande partie responsables de cette situation. Après tout, ce sont les Canadiens qui paient la majeure partie de la recherche – qui accordent des subventions et des bourses aux jeunes chercheurs, et financent les installations dotées de l’équipement de pointe nécessaire pour repousser les frontières. Pourtant, les chercheurs ont pris l’habitude de se retirer dans leur domaine de spécialité, et ne s’adressent qu’à un petit groupe restreint d’experts qui partagent leurs points de vue et s’expriment dans un jargon qu’ils sont les seuls à comprendre. Autrement dit, ils se tiennent à distance de la population, mais demandent davantage de financement.
Ultimement, la décision du Canada de considérer la recherche comme un investissement prioritaire dépend de l’importance que les Canadiens y accordent. Et pas seulement en termes absolus, mais de manière concrète. La question n’est pas de savoir si les Canadiens bénéficient des retombées de la recherche (je crois que nous savons tous que c’est le cas), mais plutôt de savoir de quelle manière ces avantages font que la recherche se compare à d’autres priorités comme la réconciliation avec les peuples autochtones, la souveraineté dans l’Arctique ou les services de soins de santé.
Pour faire valoir leur cause, les chercheurs doivent rendre leurs découvertes transparentes par des publications accessibles à tous et non seulement aux quelques privilégiés qui profitent des abonnements aux revues des bibliothèques. Les chercheurs doivent être disposés à discuter de leurs travaux et à les expliquer, tant à des auditoires spécialisés qu’à la population en général.
Beaucoup de chercheurs s’efforcent de se débarrasser des stéréotypes en communiquant avec les membres de leur collectivité et non seulement en faisant des conférences. Certains participent, dans les écoles primaires, à la culture de papillons ou, dans les écoles secondaires, à la préparation d’expo-sciences, ou encore s’investissent auprès de groupes sous-représentés (par exemple dans le programme SciHigh). On constate que les chercheurs font un effort croissant pour illustrer le rôle que joue la découverte dans la vie des collectivités.
Inciter les jeunes esprits à poser des questions — à vouloir des réponses et à s’étonner de voir tout ce qu’il y a à apprendre au sujet de l’univers — améliore à la fois l’éducation et la société dans son ensemble.
Le gouvernement a aussi un rôle à jouer pour assurer que les mécanismes de financement de la recherche respectent les principes de transparence et l’obligation de rendre des comptes. Le récent examen du soutien fédéral à la science fondamentale commandé par la ministre des Sciences reconnaît que « les bons écosystèmes de recherche appuient les activités de sensibilisation publique et les activités visant la participation des citoyens à la recherche ». Les recommandations auxquelles cet examen a donné lieu, dont l’amélioration de la reddition de compte auprès de la population et de la transparence, favoriseront un regain de confiance à l’égard du milieu scientifique.
La recherche sert les intérêts du Canada, comme elle le fait pour toutes les nations progressistes. Les demandes pour accroître le soutien fédéral à la recherche s’adressent à ceux qui détiennent les cordons de la bourse à Ottawa, mais les chercheurs négligent l’importance de l’engagement auprès de la population, et ce, à leurs propres risques.
Les avantages de ces interactions sont très clairs : une plus grande transparence du milieu de la recherche ne peut qu’améliorer la confiance du public en ce qui concerne l’utilisation judicieuse des fonds par les chercheurs, et permettre de constater que les découvertes sont sources d’inspiration pour les gens et contribuent à changer la société. Si l’engagement envers la société permet aux chercheurs, aux établissements et aux organismes subventionnaires de quitter leur tour d’ivoire, ce sera encore mieux!
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