Faire des universités canadiennes des accélérateurs d’innovation

30 août 2016
2 man working in a electronic lab wearing eye protector glasses

Cette lettre d’opinion a paru dans le numéro de septembre-octobre 2016 du magazine Policy.

Par Andrew Petter, recteur, la Simon Fraser University

Le Canada a un retard considérable en innovation ce qui place l’économie du pays dans une situation de désavantage concurrentiel. Bien qu’il existe sur le marché des obstacles structurels qui sont difficiles à surmonter, Ottawa dispose d’une occasion idéale de diriger un programme d’innovation en développant et en mettant à profit les atouts concurrentiels des universités au Canada à l’échelle mondiale. Les universités doivent cependant être prêtes à repenser leurs politiques et à réviser leurs pratiques afin de maximiser leur potentiel d’innovation, selon le recteur de la Simon Fraser University.

« On ne peut surmonter ses faiblesses qu’en développant ses forces. »

Ce sont les mots de Peter Drucker, consultant en gestion, éducateur et auteur, dont la renommée bien méritée est fondée sur sa capacité à convertir des leçons organisationnelles complexes en conseils concrets, qui s’appliquent tout particulièrement au problème dont souffre actuellement l’économie canadienne.

Le retard du Canada en matière d’innovation met en péril la productivité du pays et entrave sa compétitivité. Ce retard résulte des faiblesses structurelles du marché qui ont ralenti la recherche et développement (R-D) dans le secteur privé. Parallèlement, nous disposons d’un système universitaire qui a un énorme potentiel en recherche et en innovation, ce qui est un atout considérable, et une base solide et prometteuse pour un nouveau gouvernement engagé dans un ambitieux programme d’innovation.

Il est clair que le Canada se voit distancé dans la course à l’innovation : Le Forum économique mondial classe son rendement dans le monde au 22e rang, alors qu’il était 12e en 2009. Nous sommes le seul pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dont les dépenses d’acquisition de technologie provenant d’autres pays dépassent les achats de ces derniers dans notre pays.

Notre productivité est affaiblie, ce qui est particulièrement évident quand on la compare à celle de notre partenaire commercial le plus proche et le plus important. Depuis 2000, la croissance de la productivité du travail au Canada représente un tiers de celle des États-Unis, un écart qui a eu un impact négatif inévitable sur notre compétitivité économique.

Ce résultat insatisfaisant découle principalement de notre manque d’investissement en R-D, qui place actuellement notre pays au 12e rang des pays de l’OCDE. Ce faible classement est dû à certains obstacles structurels du marché canadien, où de nombreuses grandes entreprises ne sont que des succursales d’entreprises qui font la majorité de leur R-D ailleurs. Quant aux petites et moyennes entreprises, elles ont souvent une capacité en R-D insuffisante pour pouvoir demeurer compétitives et se développer.

Il est difficile de trouver des mesures politiques pour surmonter ces obstacles bien ancrés. Drucker nous conseillerait d’accroître nos forces plutôt que d’essayer de corriger ces faiblesses. Dans le cas présent, le secteur universitaire constitue un levier politique puissant. Alors que la recherche dans le secteur privé au Canada fait défaut, nos universités sont reconnues comme de grandes puissances sur ce plan. Vingt-trois de nos universités figurent parmi les 500 meilleures au monde, ce qui est un résultat remarquable pour un pays dont la population représente moins de 0,5 pour cent de la population mondiale.

Il est vrai qu’entre 2006 et 2014 le Canada est passé de la troisième à la septième place des pays de l’OCDE concernant la part du produit intérieur brut consacrée aux dépenses de R-D dans le domaine de l’enseignement supérieur (DIRDES). Le dernier budget fédéral a accordé un financement de 95 millions de dollars aux trois organismes subventionnaires fédéraux, ce qui représente une première étape importante pour inverser la tendance et rétablir la position du Canada en ce qui concerne cet indicateur clé.

Voici donc le fondement d’une solution politique : on dispose d’une bonne occasion de surmonter les faiblesses en développant nos forces. Le gouvernement fédéral a déjà pris certaines mesures importantes en ce sens. Il a commencé par rétablir le soutien du Canada au financement de la recherche dans le secteur de l’enseignement supérieur et a engagé des fonds importants dans un programme d’innovation. Il est essentiel que ce processus se poursuive et que le gouvernement tire pleinement parti des forces extraordinaires des universités en recherche et de leur potentiel d’innovation.

Mais le gouvernement n’est pas le seul à devoir relever ce défi, car si les universités ont un rôle déterminant à jouer dans le programme d’innovation du Canada, elles aussi doivent tenir compte de l’appel de Drucker et accroître leurs forces pour compenser les faiblesses.

Premièrement, les universités doivent donner aux chercheurs davantage de possibilités de s’engager auprès des entreprises et de la société civile afin d’orienter leurs activités de recherche et d’augmenter ainsi les chances de succès de leurs découvertes et innovations sur le marché. C’est plus facile à dire qu’à faire. Le modèle traditionnel de l’université dans son rôle de mobilisation du savoir repose sur des chercheurs qui font des découvertes et développent des idées sans tenir compte de la collectivité, puis ils les introduisent sur un marché non testé et inconnu. Il n’est donc pas surprenant que relativement peu d’entre elles survivent à ce processus. En effet, le retard de la recherche universitaire par rapport aux besoins du marché est tellement notoire et répandu qu’on lui a même donné le nom de « valley of death » en anglais (vallée de la mort).

Face à cette situation, la Simon Fraser University (SFU) a mené avec succès des projets de recherche en permettant à ses chercheurs d’entrer en contact dès le début du processus avec des entreprises et la collectivité afin d’adapter les activités de recherche aux besoins connus du marché et à ses débouchés. Le laboratoire 4D Labs, par exemple, est une installation de pointe en science des matériaux et en ingénierie qui entreprend des activités de recherche en réponse à des renseignements venant de partenaires du secteur privé. Un autre modèle, Innovation Boulevard, est une entreprise communautaire dirigée par la SFU et la ville de Surrey qui réunit des chercheurs universitaires, des fournisseurs de soins de santé et des partenaires du secteur privé pour mettre au point de nouvelles technologies médicales.

Deuxièmement, les universités devraient apporter à leurs étudiants des connaissances et des compétences pratiques, et des capacités entrepreneuriales. L’expansion de programmes d’enseignement coopératif est l’un des moyens d’y parvenir. On enregistre déjà des succès dans ce domaine, avec plus de 80 établissements d’enseignement postsecondaire canadiens qui permettent à plus de 80 000 étudiants par an d’aller en stage où ils acquièrent des compétences pratiques et trouvent des applications concrètes à leur formation théorique. La University of Waterloo offre l’un des plus grands programmes coopératifs dans le monde, et d’autres universités comme la University of Victoria et la SFU déploient aussi beaucoup d’efforts dans ce domaine.

Les universités doivent aussi consentir des efforts supplémentaires pour offrir des possibilités de formation en entrepreneuriat aux étudiants dans toutes les disciplines. Les découvertes et les idées commercialisables ne sont pas l’apanage des écoles de commerce, mais elles peuvent venir de toutes les disciplines universitaires. Il est donc important pour tous les étudiants d’avoir accès à des programmes qui les aident à acquérir les connaissances et le soutien dont ils ont besoin pour commercialiser leurs découvertes et leurs idées. Ainsi, la SFU a récemment lancé un programme de certificat au premier cycle en entrepreneuriat qui est offert à tous les étudiants de l’université, ainsi qu’un programme de certificat aux cycles supérieurs destiné aux étudiants en science et en génie.

Une troisième stratégie pour tirer parti de la capacité d’innovation est la création au sein des universités de programmes et de réseaux d’incubation et d’accélération qui fournissent aux professeurs, aux étudiants et aux partenaires communautaires le soutien dont ils ont besoin pour lancer des entreprises prospères.

Mis sur pied par la Ryerson University, la SFU et la University of Ontario Institute of Technology, le réseau pancanadien I-INC (Incuber Innovate Network of Canada) qui vise à accélérer le développement de technologies, en est un exemple parfait. Le Venture Labs de la SFU, plaque tournante du réseau sur la côte Ouest, est devenu le plus grand accélérateur d’affaires de la Colombie-Britannique, et son principal accélérateur pour la formation de capital et la création d’entreprises à vocation scientifique. Sur le plan international, la Ryerson University, la SFU et le Bombay Stock Exchange Institute ont établi un partenariat dans Zone StartUps en Inde, qui est le premier accélérateur dirigé par le Canada, et la SFU a établi un partenariat avec Hanhai Holding, conglomérat de haute technologie rattaché aux principales universités chinoises, pour créer un réseau visant à accélérer le développement de technologies entre la Chine et le Canada.

De nombreuses universités ont créé des incubateurs d’entreprises spécialement conçus pour soutenir les étudiants entrepreneurs. Dans l’Ouest canadien, Venture Connection de la SFU est pionnier dans ce domaine et tous les étudiants de l’Université y ont accès.

L’innovation ne se résume pas seulement générer des profits, il s’agit aussi de produire de la valeur pour les personnes et la société. Ainsi, les universités doivent promouvoir des programmes qui favorisent l’innovation sociale. C’est notamment le cas de la SFU, qui a créé RADIUS (RADical Ideas, Useful to Society), un laboratoire interdisciplinaire d’innovation sociale et incubateur de projets qui est ouvert aux étudiants de toutes les facultés de l’Université ainsi qu’à ceux d’autres universités. Depuis sa création en 2013, RADIUS a soutenu plus de 80 entreprises et favorisé de nombreux programmes, le plus récent étant le RBC First People Enterprise Accelerator.

Pour que le gouvernement réussisse à faire progresser son programme d’innovation, deux grands défis devront être relevés, l’un par le gouvernement et l’autre par les universités. Si on se souvient des conseils de Drucker, la direction que le gouvernement doit prendre semble claire : la meilleure façon de surmonter les faiblesses du marché canadien qui entravent la R-D dans le secteur privé est d’accroître les forces en matière de recherche et le potentiel d’innovation des universités au pays. Et la voie que les universités doivent emprunter semble tout aussi évidente : alors même que nous nous tournons vers le gouvernement pour qu’il investisse dans les universités afin de bâtir l’économie de l’innovation, les universités doivent être prêtes à repenser leurs politiques et à réviser leurs pratiques afin de maximiser la valeur de cet investissement.

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