Cette lettre d’opinion a paru dans le numéro de septembre-octobre 2016 du magazine Policy.
Par Suzanne Fortier, principale, l’Université McGill
Compte tenu de la rapidité avec laquelle évolue le contexte socioéconomique actuel, transmettre aux étudiants le savoir et les compétences qui leur seront utiles à long terme représente le grand défi des universités. Selon Suzanne Fortier, principale de l’Université McGill, ce que le Forum économique mondial qualifie de « quatrième révolution industrielle » est on ne peut plus propice à cette entreprise.
Thème du Forum économique mondial (FEM) de janvier dernier à Davos, en Suisse, la quatrième révolution industrielle est l’occasion idéale pour les dirigeants canadiens de se préparer aux bouleversements à venir. La quatrième révolution industrielle repose sur une « une fusion des technologies dans les secteurs physique, numérique et biologique ». Cette fusion que l’on commence déjà à observer entre autres dans l’industrie, l’environnement, la santé et les arts est porteuse de possibilités extraordinaires, susceptibles d’améliorer la qualité de vie de plusieurs. Toutefois, comme le souligne le fondateur du FEM, Klaus Schwab, cette révolution pourrait aussi conduire à la perte de milliers d’emplois pour les gens peu instruits, et accentuer ainsi les inégalités socioéconomiques.
Quelles répercussions ces bouleversements auront-ils sur le Canada, son économie et sa main-d’œuvre? Quelles conséquences auront-ils sur les universités et sur leur capacité à attirer et à former les personnes appelées à diriger la révolution qui s’annonce?
Le plus grand défi que doivent aujourd’hui relever les universités est de repenser le parcours d’apprentissage des étudiants dans un univers mondialisé, hyper connecté, extrêmement concurrentiel, en perpétuel mouvement et générateur de nouvelles possibilités. Compte tenu de l’ampleur et du rythme des changements engendrés par la quatrième révolution industrielle, il sera de plus en plus difficile de prévoir les connaissances, l’expertise et les compétences qui seront exigées. Comme on peut le lire dans le rapport du FEM intitulé The Future of Jobs: Employment, Skills and Workforce Strategy for the Fourth Industrial Revolution : « L’accélération des bouleversements technologiques, démographiques et socioéconomiques transforme les secteurs et les modèles de gestion, modifie les besoins des employeurs en termes de compétences, et rendent plus rapidement désuètes les compétences préalablement acquises par les employés. » Dans ce nouveau monde, les universités devront être en mesure d’inculquer aux étudiants le savoir et les compétences qui leur permettront d’être productifs dans le cadre d’emplois qu’il nous est encore impossible d’imaginer aujourd’hui, ainsi que d’apprendre et de créer de nouvelles technologies, de nouveaux modèles de gestion et de nouveaux modèles sociaux adaptés à un avenir difficilement envisageable à l’heure actuelle.
Alors que ces enjeux préoccupent les dirigeants universitaires, les dirigeants d’entreprises, eux, attendent des universités qu’elles forment des diplômés capables de répondre aux besoins du marché du travail, de faire la transition des études au milieu du travail, et ce, dans divers pays et cultures. Les étudiants d’aujourd’hui doivent par conséquent vivre des expériences d’apprentissage qui leur permettront de s’adapter aux changements et aux diverses cultures.
Acquérir une solide expertise dans un domaine donné ou des compétences en analyse, considérées autrefois comme le résultat d’une bonne formation universitaire, ne suffit plus.
De nos jours, il est essentiel qu’une bonne formation universitaire permette de développer le leadership et la résilience, de stimuler la créativité et l’agilité intellectuelle, et de vivre assez tôt des expériences pratiques, au pays comme à l’étranger. On assiste dans toutes les universités à l’émergence de nouveaux environnements dynamiques porteurs d’un large éventail d’expériences et d’occasions d’apprentissage qui vont bien au-delà des campus. Les partenariats entre le secteur privé, le gouvernement et le milieu universitaire contribuent également à préparer les diplômés pour la quatrième révolution industrielle; la Table ronde sur l’enseignement supérieur et les entreprises en est un bon exemple. Composée de dirigeants du milieu de l’enseignement supérieur et de grandes entreprises, la table ronde s’est donné comme objectif de permettre à chaque étudiant canadien de bénéficier d’un apprentissage intégré au travail.
Dans le cadre de la quatrième révolution industrielle, le Canada tirera sa force du talent créatif, sachant impérativement faire preuve de souplesse, d’inventivité et d’adaptabilité afin d’être en mesure de livrer concurrence dans un monde en perpétuelle mutation.
Au Canada, le pourcentage de jeunes diplômés universitaires dépasse à peine la moyenne des pays de l’OCDE. Nous devons donc poursuivre nos efforts en vue d’accroître la fréquentation des universités.
Dans une société et une économie entièrement fondées sur le savoir, l’éducation sera un facteur clé permettant de s’adapter au changement et de saisir les occasions qui se présenteront. Le Canada est par ailleurs aux prises avec une crise des talents, attribuable au vieillissement de sa population. Au cours des 20 prochaines années, on prévoit que le nombre de Canadiens de moins de 25 ans ne progressera que de 13 pour cent, alors que celui des plus de 64 ans connaîtra une progression de 72 pour cent.
Heureusement, les universités canadiennes attirent depuis longtemps des étudiants du monde entier, dont un bon nombre choisissent ensuite de s’établir définitivement au Canada.
Selon Statistique Canada, en 2013-2014, les universités canadiennes ont attiré 145 000 étudiants étrangers, soit une augmentation de 65 pour cent en cinq ans. Pour le Canada, le fait d’attirer des talents du monde entier est une stratégie gagnante qui fait plus que redonner du dynamisme à une population vieillissante.
Ces citoyens étrangers transmettent une vision internationale au milieu universitaire et aux collectivités. Sur les plans de l’apprentissage et de la recherche, les étudiants et les professeurs venus de cultures et de pays différents contribuent à la diversité du savoir et à la créativité des Canadiens.
De plus, en accueillant des étudiants venus de pays dont le secteur universitaire est peu développé, le Canada contribue grandement à l’avènement d’une croissance inclusive, partout dans le monde.
Notre pays possède les capacités et le potentiel nécessaires pour attirer le talent du monde entier. Selon le classement mondial des universités établi par Quacquarelli Symonds, trois des 15 villes idéales pour les étudiants se trouvent au Canada. Par ailleurs, selon le supplément du Times consacré à l’enseignement supérieur, le durcissement du système d’immigration au Royaume-Uni et la rhétorique soutenue par Donald Trump aux États-Unis pourraient jouer en faveur du Canada. Signalons en outre que les capacités d’accueil du Canada sont loin d’être épuisées. Les étudiants étrangers ne représentent actuellement que neuf pour cent de l’effectif universitaire canadien, ce qui place le Canada dans la moyenne des pays de l’OCDE. Ce pourcentage atteint plus du double en Australie, au Royaume-Uni et en Suisse.
En Australie, les étudiants étrangers sont appréciés non seulement parce qu’ils enrichissent le milieu universitaire et constituent un réservoir de talent pour les entreprises, mais aussi parce que l’éducation internationale compte parmi les principaux secteurs d’exportations du pays. Avec un impact de 17 milliards de dollars sur l’économie australienne en 2014, l’éducation internationale représente plus précisément la quatrième exportation du pays, derrière le minerai de fer, le charbon et le gaz naturel.
Selon Affaires mondiales Canada, en 2015, les étudiants étrangers ont injecté collectivement plus de 10 millions de dollars dans l’économie canadienne. Toutefois, contrairement à l’Australie, le Canada ne considère pas l’éducation internationale comme une exportation et ne mesure donc pas son apport à l’économie.
L’expérience australienne est porteuse d’une précieuse leçon pour notre pays. Bien que l’éducation relève chez nous de la compétence des provinces, il est essentiel, pour réussir à attirer les talents du monde entier, de promouvoir le Canada comme une destination de choix en matière d’études universitaires. Les progrès exceptionnels accomplis depuis 30 ans par l’Australie sur le plan de l’éducation internationale ne sont pas le fruit du hasard, mais plutôt le résultat d’une stratégie délibérée.
La capacité du Canada à devenir chef de file de la nouvelle ère qui s’amorce dépendra de la qualité du talent. La concurrence que se livreront les États pour attirer les plus brillants cerveaux ira en s’intensifiant. Les universités, les entreprises, les organisations à but non lucratif et les gouvernements doivent collaborer à promouvoir notre pays comme une destination de choix en matière d’éducation ainsi qu’à mettre en place la souplesse dont le Canada a besoin pour réussir dans la quatrième révolution industrielle.