Ottawa doit augmenter le financement de la recherche, ou nous risquons de perdre la course à l’innovation

20 septembre 2017
Two researchers study plants and soil in test tubes.

Cet article d’opinion a paru dans The Globe and Mail, le 20 septembre 2017

par Suzanne Fortier, principale et vice-chancelière de l’Université McGill, Meric Gertler, recteur de la University of Toronto, et Santa Ono, recteur et vice-chancelier de la University of British Columbia

Une percée dans le domaine de l’apprentissage machine qui a révolutionné la reconnaissance de la voix et de l’image, un médicament qui a fait du sida une maladie gérable plutôt que fatale et une industrie de la biotechnologie qui génère des revenus de plusieurs milliards de dollars et emploie des milliers de personnes…

Qu’ont en commun ces trois exploits très différents? La recherche axée sur la découverte dans les universités canadiennes.

Des investissements visionnaires du gouvernement canadien ont renforcé les partenariats entre l’industrie et les universités, permis de reconstruire l’infrastructure d’enseignement postsecondaire et attiré des savants du monde entier. Toutefois, le désinvestissement dans la recherche axée sur la découverte menace maintenant la prochaine vague de découvertes qui pourraient révolutionner le monde.

Grâce au rapport du Comité consultatif sur l’examen du soutien fédéral à la science fondamentale, mandaté par le gouvernement en 2016, nous avons une feuille de route qui définit clairement le chemin à prendre pour rétablir l’équilibre dans notre écosystème de recherche et d’innovation.

Le rapport, rédigé par certains de nos leaders et penseurs les plus respectés, recommande des mesures précises pour améliorer le soutien financier et la coordination des programmes de recherche canadiens. Il soutient de façon convaincante qu’il faut renverser le déclin constant et pernicieux du financement de la recherche au Canada et rééquilibrer la distribution du financement entre la recherche entreprise par les chercheurs et la recherche stratégique.

En tant que dirigeants de trois des grandes universités de recherche au Canada, nous pressons le gouvernement fédéral de réagir. Si rien n’est fait, nous prendrons encore plus de retard par rapport aux pays avec qui nous rivalisons pour attirer les talents et les investissements et mettrons en péril le bien-être à long terme de notre société.

Prenons l’exemple des États-Unis. Bien que le discours anti-sciences qu’on entend au sud de la frontière soit perturbant, le Congrès américain a approuvé une hausse de deux milliards de dollars (US) du financement accordé aux Instituts américains de la santé en 2017, ce qui porte le budget de l’organisme à 34,1 milliards de dollars. Une autre hausse de 1,1 milliard a même été proposée. Leur budget total s’élève à près de 110 $ par habitant, ce qui proportionnellement, représente plus de trois fois l’investissement du Canada.

Qu’est-ce qui est en cause? On parle ici de décennies d’occasions manquées qui pourraient limiter l’innovation et la prospérité, diminuer les résultats sur le plan de la santé, restreindre notre compréhension des enjeux sociétaux et nuire à notre capacité de soutenir le type de programmes sociaux que nous valorisons.

Si cette affirmation vous semble exagérée, pensez aux retombées des percées révolutionnaires réalisées par certains de nos chercheurs.

À la University of Toronto, Geoffrey Hinton, pionnier en matière d’intelligence artificielle, a travaillé pendant des décennies à cultiver sa compréhension des réseaux de neurones et de l’apprentissage machine. Son travail permet maintenant des avancées dans un large éventail de secteurs et contribue à placer le Canada au premier plan dans ce domaine en émergence.

Le travail préliminaire de Bernard Belleau, professeur à l’Université McGill, sur les dérivés du sucre dans les années 1970 a directement mené à la création du premier médicament antirétroviral contre le VIH/sida, le 3TC. M. Belleau, Francesco Bellini et Gervais Dionne ont fondé BioChem Pharma en 1986 afin de concevoir le traitement innovateur qui a sauvé des millions de vies.

À la University of British Columbia, feu Michael Smith a cherché sans relâche une méthode pour modifier les séquences d’ADN en vue d’y induire des mutations. Son premier article sur la question a été rejeté parce que le sujet était d’un intérêt général limité. Toutefois, sa persistance a été récompensée. Non seulement il a remporté le prix Nobel de chimie en 1993, mais ses travaux ont permis la découverte d’une technique qui constitue une des bases de la biotechnologie moderne.

La recherche axée sur la découverte est un terrain de formation important pour les jeunes innovateurs et entrepreneurs en devenir. Une part considérable des subventions accordées pour le fonctionnement de la recherche soutient les étudiants aux cycles supérieurs et les chercheurs postdoctoraux, qui apprennent en travaillant à des projets d’avant-garde avec leurs superviseurs. Une fois diplômés, la plupart trouvent un emploi largement rémunéré dans le secteur de l’enseignement supérieur, le secteur privé ou le secteur public. Au Canada, près du quart des titulaires de maîtrise ou de doctorat deviennent entrepreneurs.

La recherche entreprise par les chercheurs est au cœur même de l’innovation – c’est le terrain d’où jaillissent les découvertes dont découle la recherche appliquée qui a des retombées directes sur la société. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que l’industrie remplisse cette fonction – seuls les chercheurs universitaires et leurs instituts de santé affiliés peuvent mener ce genre de travaux.

Il est essentiel d’investir dans la recherche pour atteindre l’objectif du Canada qui consiste à créer une société novatrice et prospère. L’examen du soutien fédéral à la science fondamentale nous a tracé le chemin. Nous avons une occasion à saisir. Ne ratons pas cette chance.

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