Cette lettre d’opinion a paru dans la Montreal Gazette le 20 septembre 2016.
Par Alan Shepard, recteur de l’Université Concordia et membre du comité de la recherche d’Universités Canada
La rentrée des classes nous amène un grand vent d’optimisme. Mais aussi, dans certains milieux, un léger cynisme à propos de la valeur d’un diplôme universitaire.
Dans des articles de fond où ils mettent surtout l’accent sur la quête des bénéfices nets, des auteurs se demandent en effet s’il est utile de payer des droits de scolarité pour obtenir un grade dont on ignore s’il mènera à un emploi de rêve dans un marché du travail au sein duquel, depuis 2008, les nouveaux talents ont du mal à se faire une place. Pour ces analystes, dans un tel contexte, un diplôme – en particulier un baccalauréat ès arts – devient un bien de luxe.
Comme un tweet de Donald Trump, ces arguments sensationnalistes ne manquent pas de retenir l’attention, occupant pixels et temps d’antenne. Mais ils sont souvent avancés par des gens qui possèdent eux-mêmes un diplôme. De plus, ils reviennent à dire qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain, et ne tiennent tout simplement pas debout.
D’après le Conseil des universités de l’Ontario, au cours d’une carrière s’étendant sur 40 ans, les diplômés universitaires canadiens gagnent près de 1 million de dollars de plus que les diplômés des autres programmes de niveau postsecondaire, et pratiquement 1,5 million de dollars de plus que les diplômés du secondaire.
Mais quel programme choisir? Une étude récente menée dans le cadre de l’Initiative de recherche sur les politiques de l’éducation s’est appuyée sur des dossiers d’impôts pour montrer que, au bout de 13 ans, le revenu moyen des titulaires d’un diplôme en études humanistes de l’Université d’Ottawa est similaire à celui des détenteurs d’un diplôme en mathématiques ou en science du même établissement.
Voilà pour les avantages pécuniaires. Mais les diplômés sont également plus susceptibles de faire du bénévolat, de verser des dons de bienfaisance, de voter et de se déclarer en bonne santé physique et mentale. Ce ne sont là que quelques-unes des indications concrètes de la façon dont l’éducation transforme les gens et améliore l’avenir de leur famille.
De nos jours, les étudiants sont bien conscients de cela. Voilà pourquoi les classes sont pleines.
Cela dit, l’université se trouve à la croisée des chemins : la diminution des subventions de l’État, un léger fléchissement démographique et la révolution technologique continuent de peser sur ses activités. Vieille de neuf siècles, cette institution, qui a sans doute fait progresser la société plus que toute autre, vit une période de grands bouleversements.
Par conséquent, quel sera l’avenir des universités en ce 21e siècle?
Premièrement, les universités doivent être ouvertes sur le monde et non pas repliées sur elles-mêmes. Comme le montrent bon nombre de clubs, le prestige a ceci de particulier qu’il repose sur l’élitisme, et donc sur l’exclusion. Or, pour des établissements dont la raison d’être est le bien public, la recherche de cette qualité est paradoxale.
Les universités favorisent la réalisation de percées dans divers domaines, mais aussi dans l’esprit des étudiants et des étudiantes. En effet, les établissements comme Concordia accueillent des étudiants qui sont souvent les premiers de leur famille à fréquenter l’université. Comme cela a été mon cas, certains ont même peut-être grandi dans une maison où il n’y avait aucun livre.
L’énergie potentielle libérée chez ceux et celles qui choisissent d’infléchir le cours de leur avenir est essentielle à notre société. Toutefois, le chemin à parcourir peut être ardu. La présence d’étudiants d’expérience à leurs côtés aide les étudiants de première année à relativiser les défis de la vie universitaire, à trouver leurs repères et à se sentir bien accueillis. Il est également essentiel de les soutenir au moyen de divers services.
Deuxièmement, les universités doivent proposer des cours et des programmes souples et adaptés aux besoins des étudiants. Désormais, un diplôme n’est plus la garantie d’une carrière toute tracée. Une université nouvelle génération doit prévoir que les étudiants reviendront suivre des cours, car, ce n’est pas un secret, la technologie accélère le rythme du changement, si bien que les connaissances deviennent désuètes plus vite qu’avant.
Ce qui ne change pas, ce sont les compétences particulières d’ordre général, comme celles qui servent à la résolution des problèmes, la littératie culturelle, les aptitudes à communiquer, l’esprit de synthèse, la prise de décisions et le leadership. Tous les sondages montrent que les employeurs recherchent ces attributs.
Toutefois, la faculté la plus importante est celle qui consiste à savoir apprendre, c’est-à-dire celle qui permet de prendre conscience de ses lacunes, de voir quand il est nécessaire de s’outiller et de trouver comment y parvenir.
Comment pouvons-nous aider les étudiants à acquérir ces compétences? En nous mettant au diapason de la génération du numérique et en proposant une expérience dont toutes les facettes exploitent à fond les possibilités des nouvelles technologies. L’avenir passe en outre par une plus grande souplesse dans le choix des cours ainsi que des cursus plus courts et plus facilement cumulables.
Troisièmement, les universités doivent créer des programmes en phase avec la communauté au sens large. Nous sommes vraiment utiles aux étudiants quand nous les aidons à s’épanouir. Or, leur épanouissement repose en partie sur leur engagement dans la communauté au sein de laquelle ils vivent. C’est par des projets concrets et en tissant des liens qu’ils se créeront des occasions d’emploi une fois leurs études terminées. Assumer des responsabilités au nom des autres leur donnera un but dans leurs études. Cela les ancrera davantage dans la réalité.
Après tout, n’est-ce pas ce que nous voulons tous?