Par Daniel Jutras, l’auteur est recteur de l’Université de Montréal
La question du financement des universités a refait surface depuis quelques mois. On entend même quelques voix qui dénoncent le sous-financement chronique et historique de certaines composantes du réseau universitaire québécois. Qu’en est-il au juste ?
D’abord, il ne faut pas s’étonner de voir les recteurs et rectrices se faire entendre sur la place publique. Le ministère de l’Enseignement supérieur a lancé il y a quelques mois un chantier sur la formule de financement des universités, qui vise à ajuster certains éléments du cadre actuel. Il est de bonne guerre que les chefs d’établissement profitent de cette occasion pour faire valoir les intérêts particuliers de leur université d’attache.
Ensuite, la vérité est que l’ensemble des universités québécoises sont sous-financées, si on les compare à des établissements de même stature au Canada. L’écart actuel s’élève à plus d’un milliard de dollars annuellement, s’il faut en croire des économistes parmi les plus crédibles et les plus respectés. Le gouvernement du Québec s’est attaqué à ce problème depuis quelques années, et il faut souhaiter que l’effort de combler le manque à gagner soit maintenu jusqu’à ce que ce dernier disparaisse.
Enfin, il faut admettre que la formule de financement actuelle, bien que perfectible, n’est pas inéquitable, quoi qu’on en dise. Il est faux de prétendre qu’elle génère une discrimination arbitraire entre les universités. La part la plus importante du financement des universités est liée aux effectifs étudiants. Les règles budgétaires sont les mêmes pour tous les établissements.
Chaque étudiant génère un financement lié au coût moyen de formation dans sa discipline. Pour former une vétérinaire, il faut, entre autres choses, un hôpital pour animaux. Ça coûte cher. Pour former un dentiste, il faut de l’équipement qui n’est pas requis en histoire ou en droit. Pour former une étudiante au doctorat, il faut un encadrement plus soutenu qu’au baccalauréat.
Le financement est donc pondéré dans cette perspective, avec le résultat que les universités qui offrent plusieurs programmes coûteux reçoivent en moyenne plus d’argent que les autres. Les universités qui ne forment pas de médecins, de vétérinaires, ou de pharmaciens ne sont pas victimes d’un sous-financement chronique. Elles reçoivent le financement dicté par la configuration disciplinaire de leur population étudiante, tout simplement. Les établissements en région et les établissements de plus petite taille jouissent par ailleurs d’un financement additionnel en lien avec leur mission particulière.
Certes, la formule de financement est perfectible. Elle s’intéresse aux inscriptions, et peut-être pas assez à la diplomation. Parce qu’elle appuie le calcul des octrois sur les études à temps plein, quelques universités — mais pas toutes — affirment que la formule ne tient pas suffisamment compte du coût d’encadrement des étudiants à temps partiel. Parce qu’elle est fondée sur le coût de formation historique par tête de pipe, elle ne soutient pas adéquatement l’innovation pédagogique, ni la transformation numérique, ni même la mise en place de mesures favorisant l’accessibilité aux études universitaires, dont il faut rappeler qu’elle fait partie de la mission fondamentale de toutes les universités au Québec.
Et la liberté relative qu’elle a accordée quant à la facturation de frais de scolarité déréglementés pour la plupart des étudiants internationaux génère peut-être des écarts de financement qui méritent d’être examinés. Le chantier sur la formule de financement des universités vise justement à répondre à certaines de ces préoccupations. Mais on ne peut pas honnêtement en tirer la conclusion que la formule elle-même est foncièrement inéquitable.
On ne rehaussera pas les finances ni la stature des universités qui le réclament en y ouvrant des programmes qui coûtent cher ou qu’on juge à tort plus prestigieux. Ainsi, le projet du recteur Stéphane Pallage d’offrir des formations en médecine, en pharmacie ou en sciences infirmières à l’UQAM est une fausse bonne idée.
Il est vrai que le Québec a un urgent besoin d’effectifs dans le réseau de la santé. Mais les quatre universités qui ont déjà une faculté de médecine (Laval, UdeM, McGill et Sherbrooke) ont augmenté très significativement la taille des cohortes d’étudiants et d’étudiantes depuis 2019, et elles continueront de le faire en réponse aux demandes du ministre, plus vite, plus efficacement et à moindre coût que ne le ferait une nouvelle école.
Il est vrai que les besoins sont criants en région. Les mêmes universités couvrent déjà l’ensemble du territoire et forment des médecins à Trois-Rivières, à Rimouski, à Chicoutimi et à Gatineau, en plus de leurs campus principaux. Par ailleurs, 9 universités et 34 cégeps au Québec offrent déjà une formation en sciences infirmières.
Il est vrai que le Québec a besoin de professionnels de la santé qui pensent en termes de prévention, de santé globale, de travail en équipes interdisciplinaires. Ces valeurs sont déjà profondément ancrées dans les programmes de formation existants, et le Québec peut aujourd’hui compter sur deux écoles de santé publique (à McGill et à l’UdeM) dont la contribution exceptionnelle a été mise en lumière durant la pandémie.
Pour répondre aux besoins de la population du Québec en santé et services sociaux, il suffira de continuer d’investir dans les structures actuelles, solides et aguerries, dont les acteurs ne cessent d’innover. L’UQAM a un rôle important à jouer dans ce cadre, compte tenu de son expertise et de ses valeurs. Pour y arriver, elle n’a pas besoin de dupliquer les efforts que mènent avec succès les autres universités, en médecine, en santé publique, en pharmacie ou en sciences infirmières.